Classification des arts martiaux japonais

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Samourai-histoire-bujutsu-budoEn Février 2006, Malcom Tiki Shewan donnait une conférence à Paris sur l’histoire du Budo japonais. Très intéressante, cette conférence m’a permis de clarifier les grandes classifications dans le Budo. Aux notes prises à l’époque, j’ai ajouté ce que j’ai appris depuis. Voici ce qu’on peut retenir des bujutsu et des budo japonais et de leur évolution.

 

Au début de toutes guerres entre les hommes, il y a la technique guerrière qui permet d’arriver à ses fins. Pour cela, l’homme dispose de son corps, outil naturel de combat par excellence, puis des outils qu’il créé au fur et à mesure de ses besoins et de ce que son imagination lui dicte. Au Japon, environ 200 ans avec J.C., une lutte chinoise est importée. Elle est à l’origine du Sumo, LA lutte japonaise traditionnelle. Cette lutte est à la base de nombreuses méthodes de combats développées par les bushi, c’est-à-dire les guerriers.

Sumo

(Sumo, ou la lutte des dieux)

 Les arts de combat

L’ensemble des méthodes de combat employées par les guerriers constituaient le bujutsu (mot à mot les « techniques guerrières »). Il y avait le tir à l’arc, la lance, l’escrime, l’équitation, la natation en armure, l’éventail de guerre, le bâton, le jitte, la chaîne, la stratégie plus quelques autres, et bien entendu les techniques à mains nues.

La plupart du temps, les techniques à mains nues étaient complétées par l’apprentissage d’une ou de plusieurs armes. Parmi les principales méthodes de combat à mains nues utilisées on trouve le Yawara, Wajutsu, Kogusoku, Kumiuchi, Torite, Taijutsu, Hakuda, Shubaku, Kempo, Koshi-no-mawari et pour l’île d’Okinawa le Tode (la main des Tang, ancêtre du karate). Ces techniques n’étaient pas suffisantes pour s’en sortir sur un champ de bataille. Il fallait donc compléter avec des armes. C’est pourquoi ces techniques à mains nues donnèrent non seulement naissance à des écoles complètes (armes et mains nues) mais influèrent sur la manière d’utiliser les armes.

Les influences des techniques à mains nues

Dans les mots Yawara (la gestion souple) et Wajutsu (l’accord souple), on retrouve le caratère « wa », qui signifie « accord », mais aussi « harmonie ». Ces deux arts de combat vont créer à partir de leur pratique et de leur caractère, deux grands courants dans le Budo japonais. Le premier va mettre en avant l’accent sur l’harmonie, dont le kanji est « ai » (harmonie, fusion), qui donne naissance au 9ème siècle à l’Aïkijutsu, et bien plus tard au 20ème siècle, à l’Aïkido fondé par Morihei Ueshiba. Le kanji « ju », dont le sens est souplesse, va constituer la base du second courant et créer le Jujutsu au 16ème siècle, puis plus tard au 19ème siècle le Judo Kodokan fondé par Jigoro Kano.

Judo

(technique de Judo pour désarmer l’attaquant d’un couteau)

 De très nombreuses écoles de combat à mains nues ont vus le jour : Takenouchi-Ryu, Sosuishi-Ryu, Tenshin-Shinyo-Ryu, Kito-Ryu, Sekiguchi-Ryu, Juki-Ryu, Yagu-Shigan-Ryu, … Ceux qui connaissent ces noms, verront immédiatement que certaines sont également d’excellentes écoles de sabre. Mais bien évidemment, le mouvement inverse est tout aussi vrai. De nombreuses écoles de sabre ont également donné naissance à des écoles complètes utilisant plusieurs armes et des formes de combats à mains nues.

 

La classification historique

On peut concevoir la pratique des arts martiaux japonais en quatre divisions selon les périodes historiques

Les ko-bujutsu

A partir de l’an 900 de notre ère, on peut appeler les arts martiaux des Ko-bujutsu, bien que nous n’ayons pas d’idée spécifique de cette pratique avant l’ère Kamakura. Mot à mot cela signifie « ancien guerre techniques», soit techniques guerrières anciennes.

 

Les Ko-bujutsu répondent à trois caractéristiques :

  • Ils sont conçus pour utilisation sur le champ de bataille
  • Ils se pratiquent quasi-toujours avec des armes (mains nues n’étant pas très utiles dans ces conditions)
  • Ils sont destinés à une pratique où l’armure est portée couramment par les guerriers.

Bataille-lance-japon

(Démonstration de bataille entre lanciers « yari », devant le shogun)

Le Japon a connu de nombreuses périodes de guerre entre les seigneurs, les provinces et les grandes familles qui détenaient le pouvoir impérial ou shogunal.

Les bushi devaient alors connaître l’ensemble des armes employées par les guerriers de l’époque, il n’y a pas de spécialisation à proprement parler. Les armures devaient pouvoir arrêter un coup. Tous les Bushi devaient maîtriser un ensemble d’arts divers pour pouvoir être compétent en guerre. Par exemple : comment fortifier une position, comment commander les troupes, comment monter à cheval, donner de fausses informations, etc. Les Ko-Bujutsu comportaient donc des études complètes des systèmes militaires de l’époque.

Les ko-budo

En 1600, tout le pays est réunifié sous le pouvoir des Tokugawa. C’est la période Edo. Une longue période de paix s’installe sur le pays. Les routes entre les provinces sont plus sûres et se développent, permettant la circulation des marchandises, des hommes, des idées et des techniques. C’est le début de l’urbanisation. Le Shogun impose aux Daïmyo (seigneurs) de venir six mois par an à Edo (ancien nom de Tokyo) afin de mieux les contrôler. Ces déplacements se font avec la famille, les Bushi et la suite des serviteurs, ce qui représente beaucoup de monde régulièrement sur les routes. Il se développe alors une sorte de « réseau touristique » pour accompagner les voyageurs dans leurs déplacements.

Wajutsu

 (technique de pied au sol en Wajutsu)

 Mais c’est le rôle du bushi qui évolue considérablement : de guerrier sur un champ de bataille il devient protecteur de son maître et de sa suite. Pour répondre à ce nouveau rôle, il développe des techniques de défense. Parallèlement on encourage les bushi à pratiquer des arts plus calmes, comme la calligraphie, l’ikebana, la cérémonie du thé, etc. Ces arts permettent de canaliser leurs énergies martiales en un développement plus pacifique et culturel. Les Ko-Budo sont nés dans ce contexte. Le terme « bun bu ichi » (« les arts et le guerrier ne font qu’un ») résume l’esprit de l’époque.

Le rôle du guerrier au sein de la société subit un grand changement.

Les Ko-Budo répondent à trois caractéristiques :

  • Ils sont conçus plutôt pour une application au sein d’une société civile;
  • Les armes servent à renforcer les lois et la justice;
  • Les armures lourdes s’allègent voire disparaissent au profit d’armures plus légères et mieux conçues pour les conditions sociales d’alors.

Ces nouveautés induisent le début des spécialisations adaptées à chaque situation. On apprend à juger de l’action en fonction de l’arme que l’on a en main. De nouvelles armes moins meurtrières et de nouvelles disciplines font leur apparition, comme le Jitte-jutsu (matraque), Zue-jutsu (la canne), le Jo-jutsu (bâton). Le sabre, quant à lui, se raccourcit et oscille entre 60 et 75 cm. L’allègement des armures permet une plus grande mobilité mais entraîne aussi une plus grande vulnérabilité. Les cibles potentielles ne sont donc plus uniquement les points faibles de l’armure de guerre.

Avec ces armes, ces situations nouvelles, les besoins techniques augmentent, les pratiques se diversifient et se spécialisent. C’est la naissance des écoles spécialisées dans une arme ou un nombre réduit d’armes particulières.

Kyudo

 (tir à l’arc japonais ou Kyudo)

 

Les shin-bujutsu

En 1854 la flotte américaine dirigée par le Commodore Matthew C. Perry force le Japon à ouvrir ses ports au commerce mondial. En 1868, l’empereur Mutsu Hito (睦仁) lance l’ère Meiji (明治). Cette modernisation du pays à cadence forcée doit permettre au Japon de rattraper son retard sur les technologies des pays industrialisés. Pour ne pas être dépassé par l’armement et les techniques de guerre modernes, le gouvernement fait appel à des conseillers étrangers : Anglais (pour la marine), Allemands et Français pour l’infanterie, Américains pour la cavalerie et l’artillerie.

C’est la création des Shin-Bujutsu (nouvelles techniques guerrières), comme l’art de la baïonnette (Juken-jutsu, qui fut pratiqué par Moriheï Ueshiba).

 

Les Shin-Bujutsu répondent à trois critères :

  • Ils sont conçus pour la guerre moderne
  • Ils se pratiquent avec des armes (à feu et à longue portée)
  • L’équipement devient primordial (bateau cuirassé, sac du soldat, etc).

 

Yawara

(Kamae ou position de garde au Yawara)

 

Cette nouvelle donne sonne le glas des bushi et de la pratique du sabre sur les champs de bataille. D’ailleurs, le port des deux sabres est interdit par un édit (haitô-rei). Les guerriers sont désormais de simples citoyens que l’on forme au tir avec une arme à feu et à quelques techniques de combat rapproché. Les armures ne servent à rien face à la puissance des balles ou des obus. Il faut pouvoir se déplacer rapidement et construire des abris solides.

 

Les shin-budo

samourai-nostalgique

En 1865 le Japon est encore quasiment féodal, alors qu’en 1900 c’est une société moderne qui sera capable de rivaliser avec la Russie dans une guerre ouverte (en 1905) et de la remporter. Ce progrès technologique sur une période si courte est un accomplissement unique dans l’histoire du monde.

Désormais les bushi, n’ont plus leur place dans cette société et regrettent les temps anciens. A partir des arts martiaux anciens, ils cherchent des applications possibles pour leurs contemporains. Le but est de perpétuer l’héritage qui leur a été transmis tout en conservant également les idéaux, la philosophie zen et les autres arts non guerriers et en aidant l’homme moderne à trouver sa place dans la nouvelle société. C’est ainsi que naissent les Shin-Budo que nous connaissons, comme le Judo, le Karate-do et bien sûr l’Aïkido, mais aussi le Kendo, le Kyudo, Iaïdo et bien d’autres. Les Japonais les appellent aussi Gendai-Budo (« Budo Modernes »).

 

Mais les arts martiaux n’ont pas fini d’évoluer. On voit apparaître de nouvelles disciplines et de nouvelles règles de jeu basées sur la conception de shiai plutôt que sur shinken-shobu. Les pratiquants visent surtout la réussite sportive dans le cadre de la société moderne.

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Ivan Bel

Depuis 30 ans, Ivan Bel pratique les arts martiaux : Judo, Aïkido, Kenjutsu, Iaïdo, Karaté, Qwankido, Taijiquanet Qigong. Il a dirigé le magazine en ligne Aïkidoka.fr, puis fonde ce site. Aujourd'hui, il enseigne le Ryoho Shiatsu et la méditation qu'il exerce au quotidien, tout en continuant à pratiquer et écrire sur les arts martiaux du monde entier.

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