Qu’est-ce que la pleine conscience ?

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marcher pleine conscienceLa pleine conscience n’est pas une forme de méditation. C’est une partie de la méditation, un outil parmi d’autres. Mais sortie de son contexte, édulcorée et modernisée pour les besoins des Occidentaux, elle fait l’objet d’un enseignement populaire de plus en plus suspect. Cette approche de l’esprit, hélas fréquente, n’apporte pas grand-chose à part un peu de détente et de reconnexion avec son corps. C’est mieux que rien certes, mais pourquoi se satisfaire du minimum ?

Il fallait s’en douter, avec la vague gigantesque d’engouement pour la méditation, la pleine conscience ou Mindfulness remporte le haut du panier. On ne compte plus les séminaires et les livres sur le sujet. Les raisons de ce succès sont multiples :

  • Jon Kabat-Zinn est un professeur en médecine. Il bénéficie donc automatiquement de l’image de sérieux qui va avec ce métier. Mais pourquoi un médecin connaîtrait-il mieux la méditation qu’un moine bouddhiste et serait plus convainquant ? Mystère. Le fait que ce soit un Occidental, cela encourage le public occidental.
  • Le concept de Mindfullness a été testé scientifiquement : l’avantage d’être médecin c’est de pouvoir tester sa pratique en milieu hospitalier et à l’aune de critères scientifiques qui ne sont pas de mise dans le milieu de la méditation. Cela rassure et les effets sont bien documentés. La question est : pourquoi avoir nié le travail des moines et des ascètes dans ce sens depuis au moins 4000 ans ? Les chiffres, les statistiques, bref tout ce qui est virtuel, cela rassurent les Occidentaux.
  • La méthode utilisée est cadrée dans le temps : partout on entend parler de formation à la Mindfullness grâce à un cycle de 8 semaines. Parfait, 8 semaines intensives me paraissent déjà une base bien solide. Sauf qu’il s’agit d’un cours par semaine. Ce n’est pas tout à fait la même chose. Du coup les gens s’imaginent qu’ils vont savoir méditer en 8 semaines à raison d’un cours semaine. Le temps, cela rassure, car cela donne l’impression qu’après cela le travail est fini et on pourra passer à une occupation.
  • La méthode enseignée est facile : on peut même dire qu’elle est adaptée aux Occidentaux. On s’allonge, on écoute de la musique, on fait des body scans, on note et on réfléchit aux concepts d’être présent à son corps, etc. Cette méthode donne surtout la part belle à la réflexion, et le mental, on connaît bien.

À cela, vous pouvez désormais ajouter toutes les dérives qui permettent de faciliter l’apprentissage, jusqu’à l’enseignant quasi absent qui préfère mettre des CD à la place de sa présence et de ses mots. (lire Mindfullness is not meditation). Face à ce phénomène de « paupérisation intellectuelle et technique » de la méditation, on peut comprendre l’énervement (calme) de moines comme Matthieu Ricard (qui est un scientifique) qui rappelle dans son dernier livre[i] que la méditation est un chemin personnel gigantesque et dont l’un des buts les plus hauts est l’amour universel (altruisme).

Ce qu’il y a de vexant dans la Mindfulness à la sauce populaire, c’est que l’on a l’impression que les Occidentaux n’arriveront jamais à comprendre ce qu’est la méditation et qu’il leur faut un ersatz, capable de les contenter rapidement. Cela revient à dire que l’on fournit une forme de méditation pour les nuls, adaptée aux critères de temps réduit et de consommation à outrance auxquels ils sont malheureusement habitués.

Il faut surtout comprendre que derrière tout ça il existe un business tout à fait lucratif. La plupart des formations de Mindfulness en 8 semaines ont un coût à l’heure qui revient entre 20 et 35€ de l’heure. Une heure avec un groupe de 10 personnes et vous avez réalisé une bonne journée de travail. Cette monétarisation ne s’arrête pas là puisque les applications pour smartphones pullulent, presque toutes sont payantes. Que font ces applications ? En gros, elles vous sonnent pour vous dire de respirer. Quelle tristesse d’en arriver là pour une technique qui ne demande que de s’arrêter un peu dans une journée et de respirer tranquillement, activité entièrement gratuite. Alors, pourquoi payer pour de l’air ?

meditation paysage

Ce que n’est pas la méditation

Dans son excellent livre « Méditer au quotidien »[ii] le Vénérable Hénépola Gunaratana, spécialiste du Vipassana commence par expliquer ce que n’est pas la méditation. Je trouve que c’est une très bonne démarche didactique pour éviter de se perdre dans les illusions et les fantasmes. Il dit au troisième chapitre « nous n’allons pas vous apprendre à contempler votre nombril ». Voici sa liste des méprises à propos de la méditation :

  1. La méditation est simplement une technique de relaxation.
  2. Méditation veut dire entrer en transe
  3. La méditation est une pratique mystérieuse que l’on ne peut pas comprendre
  4. Le but de la méditation est de développer des pouvoirs psychiques surhumains
  5. La méditation est dangereuse et une personne prudente doit l’éviter
  6. La méditation est faite pour les saints et les religieux, pas pour les gens ordinaires
  7. Méditer c’est se détourner de la réalité
  8. La méditation est un moyen d’être heureux
  9. La méditation est égoïste
  10. Méditer, c’est s’asseoir et avoir des pensées élevées
  11. Une 15aine de jours de méditation et tous mes problèmes vont disparaître

Évidemment, tout cela est faux et je vous laisse le plaisir de découvrir dans son livre ses arguments pour dénoncer ces croyances. À cette liste j’ajoute mes propres remarques issues d’années de pratique et d’enseignement.

  • La méditation ne se pratique JAMAIS allongé. Lorsqu’on s’allonge, on est programmé pour s’endormir ou se relâcher. Or le but de la méditation n’est pas de se relâcher, mais d’augmenter le niveau de conscience par une vigilance fine et sans faille. La relaxation est le chemin inverse de la méditation, même si à un moment donné de la pratique méditative on atteint un état de grande relaxation physique et psychique. Cela ne veut pas dire que la relaxation est mauvaise, bien au contraire. Dans le monde occidental, la plupart des gens en ont un grand besoin. Mais la relaxation allongée n’est pas la méditation. Conclusion, la méditation allongée n’existe tout simplement pas. Assis, debout, en marche oui, mais pas allongé. Il y a des raisons pratiques à cela qui pourraient faire l’objet d’un bel article.
  • La méditation n’est pas un hobby, un passe-temps ou un sport cérébral. C’est une Voie. Cela revient à dire que – comme toutes les voies artistiques, martiales ou autres – c’est le chemin d’une vie entière de pratique ou rien n’est acquis d’avance sans un travail personnel régulier et où rien ne survient rapidement. À la question « au bout de combien de temps le dos ne fait-il plus mal et quand s’arrête les pensées », je réponds « 1 an minimum pour le dos, 5 à 6 au minimum pour calmer les pensées. Mais calmer ne veut pas dire arrêter ». Comme ça, pas de faux espoirs et pas de précipitation non plus.
  • La méditation n’utilise pas de musique. Des chants sacrés parfois, une voix qui guide parfois ou des supports visuels tels une bougie allumée, mais pas de musique. À l’écoute d’une musique, le cerveau se laisse bercer, divague, imagine, mais ne fait pas « l’effort de ne rien faire ». Cela revient à laisser le mental en contrôle – même s’il est en mode récréatif dans ce cas-là – du corps et de l’esprit. C’est justement l’un des grands combats de la méditation que de calmer le mental et de le faire cesser de bavarder ou d’évoquer des images.
  • La méditation ne permet pas d’obtenir quelque chose de précis. La plupart des débutants viennent avec des objectifs. La première chose que j’enseigne est trois règles de base : ne pas forcer, ne pas vouloir, ne pas chercher. Le but est de se débarrasser de nos schémas de pensées, notamment qui imposent d’avoir des objectifs pour réussir. Tant que l’on désire quelque chose, rien ne se passe. À partir du moment où l’on lâche prise sur le désir ou la peur, des états de conscience arrivent. Mais on ne sait jamais à l’avance ce qu’ils vont nous apporter. Encore une fois, c’est un chemin, qui apporte son lot de bonnes et de mauvaises surprises. L’avantage de ne pas avoir d’objectif, c’est qu’il n’y a plus d’urgence, plus de course avec les autres ou avec soi. Il ne reste plus qu’à être
  • La méditation apprend à ne rien faire de concret. Toute notre vie nous sommes éduqués à faire, encore faire et faire toujours plus. Depuis les premiers pas jusqu’à la maîtrise de l’être social, professionnel, familial et amoureux que vous êtes, vous avez appris des milliers de choses à faire, et enregistré des millions de données. La méditation vous enseigne une seule chose : ne rien faire. Comme cela ne vous est jamais arrivé, ce sera la chose la plus difficile à apprendre de toute votre vie. Votre mental fera tout ce qui est en son pouvoir pour vous empêcher de ne rien faire. Vous allez découvrir un monde inimaginable jusqu’alors.
  • La méditation n’est pas un acte égoïste qui isole. Bien au contraire. Certes, il faut un travail sur soi de plusieurs années pour arriver à ne rien faire de concret et du point de vue du monde productiviste, cela paraît proprement indécent. Vu de l’intérieur toutefois, il se passe constamment des choses pendant ce travail de calme. Plus les pratiquants avancent, plus ils se découvrent de l’intérieur. Plus ils se découvrent, plus ils comprennent qu’ils sont comme tout le monde. Mieux, ils sont reliés à tout le monde et au Monde dans sa globalité. Du coup, ce sont des êtres souvent sociaux, joyeux, calmes, agréable à la conversation. Ils travaillent toujours, subissent des émotions et des tracas, comme tout le monde, mais ils abordent tout cela différemment. À ceux qui traitent les méditant de feignants et de parasites de la société, j’applaudis bien fort : vive les feignants qui ne font pas la guerre, n’ennuient pas leur prochain, ne travaillent pas pour brasser du papier et de la vanité, ne polluent pas, respectent la vie sous toutes ses formes, écoutent plus qu’ils ne font du bruit, ne jugent pas, ne détruisent pas l’environnement, n’accusent personne de leurs propres maux, mais cherchent à les régler de l’intérieur.

Qu’est-ce que la pleine conscience alors ?

Il existe de nombreuses formes de méditation à travers le monde. Les formes originelles indiennes, tibétaines, chinoises ou autres ont l’avantage de l’expérience de plusieurs millénaires. Cette science[iii] extrêmement riche et sophistiquée de la connaissance de l’être humain par lui-même regroupe un bon nombre de grands thèmes. L’un de ces thèmes parmi d’autres est la pleine conscience. Tout comme la pratique se base sur la respiration depuis le début et jusqu’à la fin, la pleine conscience est l’une des clés de voûte de la méditation. Mais ce n’est pas la seule, loin de là.

La pleine conscience permet à l’individu de prendre conscience de son corps, puis de sa respiration, puis des systèmes physiologiques et automatiques du corps. Arrive le moment où le méditant prend conscience de ses pensées, du fonctionnement de son mental, de ses peurs, de ses désirs, des processus émotionnels, bref de sa psyché, de la manière dont elle est construite, de ses croyances, de ses illusions. C’est donc un fil directeur plus qu’une étape à franchir. La pleine conscience est là du début jusqu’à la fin, mais elle ne constitue pas en soi la méditation dans son ensemble. Si c’était le cas, la critique comme quoi cela enfermerait mentalement les pratiquants et les isolerait du monde serait justifiée. La méditation en pleine conscience serait uniquement l’art de développer des personnes hyper conscientes d’elles-mêmes, mais complètement centrées sur leur nombril. Rappelons que parmi les conséquences de la méditation on trouve l’altruisme, l’amour universel, la transcendance, le dépassement de soi, la libération de tous nos conditionnements, y compris ceux de la chair et du mental.

À un autre niveau, du moins celui que je suis capable d’appréhender pour l’instant, la pleine conscience est celle des mouvements de la vie, des cycles de la nature et du temps humain. Le pratiquant devient alors une conscience qui ressent et comprend intuitivement tous ces mouvements qui nous traversent, les accepte (par exemple, pourquoi lutter contre le temps qui passe ?), reste au croisement et conserve une grande lucidité sur ces mouvements qui nous dépassent. C’est un état étrange et agréable à la fois où l’on est là immobile, à ressentir les mouvements internes et externes au corps. Cela permet aussi de choisir son chemin sans regret ni se tromper de beaucoup, choisir sans inquiétude, sans peur de l’avenir et sans porter le passé comme un fardeau. Ce niveau de conscience est un bon point d’entrée – à mon humble avis – pour aborder ce que l’on nomme la pleine conscience. Et je devine des niveaux de conscience encore plus « pleine » au-delà de ça.

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Comment en arriver là ?

En étant courageux, têtu, discipliné et bien encadré. Bonne pratique !

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[i] « Pladoyer pour l’altruisme », Matthieu Ricard, chez pocket 2014

[ii] « Méditer au quotidien », Vénérable Hénépola Gunaratana, aux éditions marabout, 1995

[iii] Il faut lire cela comme une science de la psyché humaine, très différente d’ailleurs de la psychanalyse. Lire pour cela la manière de présenter la méditation par Jack Kornfield, « Bouddha – mode d’emploi pour une révolution intérieure », chez Pocket, 2013

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Ivan Bel

Depuis 30 ans, Ivan Bel pratique les arts martiaux : Judo, Aïkido, Kenjutsu, Iaïdo, Karaté, Qwankido, Taijiquanet Qigong. Il a dirigé le magazine en ligne Aïkidoka.fr, puis fonde ce site. Aujourd'hui, il enseigne le Ryoho Shiatsu et la méditation qu'il exerce au quotidien, tout en continuant à pratiquer et écrire sur les arts martiaux du monde entier.

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