Mu gamae ou l’esprit de l’Aïkido

Merci de partager l'article sur :

OSensei-mu-kamaeLa position de base en Aïkido ne possède pas de garde de la part de tori ou de uke. Cette absence est propre à l’Aïkido. Elle est l’image même de l’esprit qu’a voulu transmettre le fondateur. Rares sont les arts martiaux qui proposent cette position qui est a priori antinomique avec l’esprit martial. Petite explication.

Tous pratiquants qui viennent à l’Aïkido avec un bagage martial déjà bien établi dans d’autres disciplines, sont toujours très étonnés par l’absence de garde. En effet, il n’est pas (ou peu *) enseigné aux aïkidoka de se mettre dans une position de garde claire, les bras vers l’avant, pour permettre de raccourcir le temps de réaction face à une technique et, par là même, se protéger. Pour comprendre cela, il faut reprendre le principe de Mu gamae dans une approche sémantique. (photo en haut, O Sensei en Mu gamae. Notez la position des doigts. Les mains ne sont pas mortes).

Le terme de Mu gamae (prononcer « mou kamaé » signifie « garde vide », que l’on traduit trop souvent par « sans garde ». Il faut bien faire attention aux mots que l’on utilise. « Sans garde » indique un état physique, tandis que « garde vide » indique un état de perception mentale. C’est pourquoi Tomiki Senseï parlait souvent « d’esprit vide » pour traduire ce terme. « Mu » (無) signifie « absence », « pas de », que par extension on traduit aussi par « vide », notamment selon l’acception taoïste et bouddhiste.

mushin

 (Calligraphie de droite « Mu shin »)

Quant à « gamae » (構え) cela signifie « base », que l’on traduit approximativement par « posture » et par extension et facilité on parle de « garde ». Ce terme n’est pas à confondre avec tachi (立ち) qui cette fois veut exactement dire « position ou posture ». Le gamae est la posture de tout le corps. Mais c’est aussi la posture mentale du budoka. Ce qui donne une double interprétation à ce mot, qui veut dire aussi bien posture physique que mentale. On parle alors de Mu shin mu gamae (esprit vide et posture vide).

Croire que Mu gamae consiste à abandonner sa garde et ne pas se protéger, et que par conséquent on peut baisser les bras, vous pouvez être sûr de prendre le premier coup de poing qui vient à vous droit dans le nez. Du coup, avoir les mains vers le bas du corps puis de se défendre ensuite, nécessite une bonne vitesse de réaction. Certes le fait de baisser les mains et de relâcher les bras et les épaules, puis d’être présent dans l’attaque du partenaire, permet d’améliorer ses réflexes et sa vitesse de mouvement. Mais est-ce bien là le but de Mu gamae ? Pas vraiment.

Les enseignants insistent souvent sur la position adéquate du corps avant le début d’une technique. Cette insistance est justifiée, car elle représente la garde d’Aïkido en soi. Le placement du corps, des hanches, du regard, la répartition du poids sur les jambes, la position des pieds, tout est pensé pour pouvoir répondre rapidement sans avoir besoin de tendre les mains devant soi. Les mains qui reposent sur les côtés du corps ne sont pas inertes, non plus. Leur position est également réfléchie, les mains et les doigts doivent être pleins d’énergie, au repos mais prêts à bondir. Et tout cela sans tension du corps, bien évidemment. Rien que pour réaliser cela, il faut un bon entrainement.

Ueshiba-prie-tombe

(O Sensei devant une tombe. Notez la présence des mains, la posture du corps qui indique quil est toujours prêt.
Mu gamae est en place, alors qu’il vient de se recueillir dans un cimetière)

Que communique t-on dans la position Mu gamae ? Si l’on replace la « garde vide » dans le cadre du combat, l’impression de relâchement qui se dégage de la personne prête à se battre sans avoir à passer par une garde est terrible. Pour un adversaire sans expérience elle représente un piège car elle fait croire que la personne n’est pas prête, ni même dangereuse. Pour un adversaire qui serait un bon budoka, cette décontraction du corps lui indique que la personne n’est pas inquiète, prête par la position de son corps, mais son esprit relâché. Il est donc prêt à tout. C’est parfois bien assez pour ne pas vouloir engager le combat. Mu gamae, de part son « esprit vide » et « sa garde sans garde » donne lieu à une victoire sans combat. Nous voilà bien au cœur de l’Aïkido.

L’homme réagit bien souvent, qu’on le veuille ou non, de manière animale. Surtout en situation d’agression. Si vous êtes dans une situation de combat, la sagesse vous soufflera d’adopter une position de garde qui soit à la fois défensive et offensive. Ce qui revient à dire que dans une situation où la tension établie entre deux personnes va tourner à l’affrontement, le corps envoie le signal (éduqué par un art martial ou non), qu’il accepte et se prépare à se battre. C’est une sorte d’équilibre de la terreur entre agresseur et agressé. En imposant Mu gamae aux pratiquants d’Aïkido, on enseigne quelque chose de diamétralement différent. Lorsque la tension monte d’un cran, il s’agit de ne pas marcher dans cette direction et de montrer à son adversaire que nous sommes toujours animés d’une bonne volonté non-conflictuelle. Il faut poursuivre cette démarche jusqu’à la dernière limite, dans le but de ne pas envenimer les choses. Il est encore possible de désamorcer la situation et de revenir à la paix. C’est le message même de l’Aïkido lorsqu’O Senseï disait que l’Aïkido est amour. En amour, on ne cherche pas le conflit. Il ne serait jamais venu à l’esprit de Gandhi de coller une bonne baffe à son prochain parce qu’on lui refusait ses droits civiques les plus élémentaires. L’attitude d’ouverture du corps et de l’esprit est donc parfaitement symbolisée par Mu gamae.

OSensei-munadori

(Alors qu’il est saisi, O Sensei est encore en mu gamae)

Cette notion de « garde vide » renvoie à une notion plus intéressante et plus philosophique. La notion de vide en Asie n’est jamais synonyme de néant tel qu’on le conçoit en Occident. Bien au contraire, tous les penseurs asiatiques diront que le vide et le plein sont une seule et même chose, voire que le vide est le plein. Cette notion, aux racines très bouddhistes, permet de mieux appréhender Mu gamae. Ce n’est pas une absence de garde dans le sens où on abandonne toute prétention à se défendre, bien au contraire. C’est une garde pleine, avec un corps et un esprit très présent, prêt à tout, parce que vide de tout (vide d’émotions notamment). Mu gamae est la garde la plus complète qui soit, celle qui transcende toutes les gardes du corps que l’on peut voir dans les arts martiaux. De plus son message est pacifique. Mu gamae est donc à la fois la garde la plus complète qui soit, mais aussi celle qui ne rentre pas dans l’engrenage de la violence et permet à l’agresseur de renoncer sans honte à son idée première.

Qui dit « garde vide », peut aussi trouver une notion Shinto (religion issue du Taoïsme chinois) intéressante. Le vide n’est qu’un état transitoire qui va vers le plein. C’est d’ailleurs le cas lorsque l’attaque est déclenchée, le corps et l’esprit passent sans transition à une réponse pleine. C’est le mouvement Yin et Yang qui se réalise alors. Lorsque l’on connaît l’importance qu’O Senseï accordait au Shinto et à ses esprits, on saisit un peu mieux les dessous de l’expression Mu gamae qui, il faut le rappeler, n’est pas une de ses inventions, car bien antérieures à son époque. Miyamoto Musashi utilisait déjà Mu gamae dans son école au deux sabres « Niten ichi ryu ».

Musashi-mugamae

(Peinture représentant Miyamoto Musashi, réalisée de son vivant, qui illustre la position mu gamae à deux sabres.
Notez la ressemblance avec la photo de O Sensei dans le cimetière)

kamaePour réaliser Mu gamae, il faut bien entendu ne plus être dans la phase d’apprentissage des techniques. Il est bon pour les grands débutants, de les remettre dans une situation de garde plus en rapport avec la logique corporelle. Sans faire offense à l’Aïkido, aider un débutant à ne plus être en retard face aux attaques en levant les deux mains devant lui est tout à fait envisageable (voir photo ci-contre). Dès qu’il se sent plus à l’aise, il est bon de lui faire baisser les bras et de lui apprendre Mu gamae. Une fois le stade technique dépassé, Mu gamae devient une véritable recherche intérieure, qui allie à la fois maîtrise du corps et de l’esprit et qui débouche sur la notion d’esprit vide. La position Mu gamae n’est possible que si les notions de Zanshin et Shizentai sont déjà en place. L’attention et la position juste du corps permettent le relâchement de celui-ci. Ce sont aussi, dans le cas de la position de garde, les meilleurs états physiques et mentaux que l’on puisse avoir dans un tel moment. Ils permettent de faire le vide mentalement et de faire la connexion énergétique entre le ciel et la terre.

gozo-shioda-gamaeSans entrer dans les détails, il est facile de sentir au niveau des pieds l’appui sur le point Yusen, qui est le premier point du méridien des reins. C’est par là que l’énergie tellurique entre de la terre dans le corps. En laissant l’énergie couler correctement dans le corps, celui-ci fait le plein. Quand le corps est plein, confiant en lui, il permet à l’esprit de se détendre, de se vider. L’esprit vide, le corps plein, toutes ces notions sont intrinsèquement liées, comme c’est souvent le cas dans la perception asiatique du monde, du ciel, de la terre, de l’homme et de son art. Mu gamae est donc à la fois le résultat de ces notions tout en étant un outil pour arriver à ces notions. Il me semble donc indispensable de travailler à baisser sa garde en apparence tout en la conservant pleinement.

——

* Certains courants comme le Yoshinkai Aikido enseigne une garde avec les mains levées. Pour en savoir plus, il faut regarder les vidéos de Gozo Shioda Senseï (photo de droite) sur Youtube.

Merci de partager l'article sur :

Ivan Bel

Depuis 30 ans, Ivan Bel pratique les arts martiaux : Judo, Aïkido, Kenjutsu, Iaïdo, Karaté, Qwankido, Taijiquanet Qigong. Il a dirigé le magazine en ligne Aïkidoka.fr, puis fonde ce site. Aujourd'hui, il enseigne le Ryoho Shiatsu et la méditation qu'il exerce au quotidien, tout en continuant à pratiquer et écrire sur les arts martiaux du monde entier.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

3 × 2 =

*

Fudoshinkan - le magazine des arts martiaux