Daniel Toutain : un travailleur infatigable

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Daniel-ToutainIl y a quelque temps de cela maintenant, j’avais eu l’occasion de discuter avec Daniel TOUTAIN, directeur technique de l’école Iwama Ryu International Academy. Après sa nommination au 6e Dan Aïkaï, c’est l’occasion de resortir une des meilleures interview que j’ai jamais eu le plaisir de faire. Une première interview sur son parcours a été publiée ici même, et depuis je n’ai jamais cessé de penser à lui. Ce qui m’a frappé chez cet enseignant de renom c’est sa tranquillité, le fait qu’il ne cherche pas à convaincre. Il expose simplement son chemin, il est confiant dans sa technique, il avance et ne se pose pas dix mille questions. Toutefois lors de cette rencontre en Belgique, je lui avais posé des questions pour qu’il se livre à une auto-analyse sur sa pratique. Voici les propos recueillis alors.

Je vais commencer par une question difficile parce que vague. Où en êtes-vous de votre recherche en Aïkido ?

Daniel Toutain : (Il prend le temps de réfléchir à la question). Je dirais que j’en suis au stade de la digestion et de la maturation de l’enseignement de Saïto Senseï (1). J’y vois de plus en plus clair. Lui-même est resté 23 années auprès du fondateur et ce n’est que plus tard, après la mort de O’Senseï, qu’il a atteint sa maturité. À mon tour, je me retrouve seul sans mon maître. Il faut donc bien que je me prenne en main puisque je ne suis plus soutenu. C’est dur, mais cela oblige à exploiter et à comprendre tout ce que l’on a reçu.

Quel entraînement faites-vous pour vous améliorer dans votre pratique ?

D.T. : Saïto Senseï m’avait conseillé de faire des suburi tous les jours. J’ai reçu son conseil, mais ce n’est que bien plus tard que je l’ai mis en pratique. Le jour où je m’y suis mis, cela a beaucoup fait évoluer mon travail. Pendant un an je me suis levé à 5 h 45 tous les matins pour faire 2500 suburi. Lorsque j’ai pu me tenir à cette pratique quotidienne, sans jamais rater une seule journée, ma pratique en Taï-jutsu a vraiment changé, sans parler des armes. C’est là que j’ai profondément compris l’unité du travail à mains nues avec celui des armes.

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Vous faites toujours ces suburi ?

D.T. : Non, plus de la même façon bien que cela fasse toujours partie de mon entraînement personnel. À un moment donné, il faut savoir passer à autre chose tout en continuant de perfectionner ce que l’on a travaillé à outrance à une autre période. En ce moment je suis en pleine recherche sur la maîtrise complète du principe awase, qui est le fondement de l’Aïkido. Lorsque je regarde les vidéos où l’on voit O’Senseï ou lorsque je me souviens de Saïto Senseï quand je l’attaquais, j’étais toujours frappé par la simplicité, la décontraction et la tranquillité exprimées dans leurs techniques en réponse aux attaques reçues. Regardez bien ces deux maîtres. Ils bougeaient toujours sans précipitation, et ce, quelle que soit la vitesse de l’attaque.

Ce qui est étonnant dans votre parcours, c’est la puissance de votre attachement au style Iwama Ryu. Pourtant, vous étiez déjà un pratiquant aguerri, vous étiez resté de nombreuses années auprès de Noro Senseï et de Tamura Senseï. Comment expliquez-vous ce changement radical de pratique ?

D.T. : Après avoir quitté Noro Senseï, j’ai pas mal cherché et vu de vieux films et livres d’époque montrant O’Senseï et Morihiro Saïto Senseï. Vers la fin des années 70, ce n’était pas facile d’aller au Japon pour rencontrer un tel maître, aussi je suis resté en France et j’ai étudié auprès de Tamura Senseï. Mais je gardais toujours un œil sur ce que faisait Saïto Senseï. Parallèlement, j’étais toujours en train de me poser des questions sur l’efficacité réelle de l’Aïkido. Quand j’étais jeune, on m’avait beaucoup parlé de l’Aïkido comme étant un art permettant de se défendre efficacement, aussi je restais sur cette idée. Pour trouver quelque chose d’efficace, je me suis tourné 3 ou 4 ans vers le Wing-Chun et j’ai étudié en parallèle avec un Maître chinois vivant à Londres. Puis l’occasion s’est présentée de voir Saïto Senseï en Italie et là ce fut une révélation. Quelques mois plus tard, j’étais à Iwama au Japon, puis j’y suis retourné plusieurs fois par an pendant dix ans.

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C’était quoi cette révélation ?

D.T. : C’est très simple. Il présentait l’Aïkido comme un Budo, m’apportant une réponse limpide à toutes mes interrogations sur ce que j’avais entendu dire à propos de cette discipline. C’est-à-dire que oui, on pouvait neutraliser une attaque forte sans violence, et que oui encore, on pouvait réaliser une technique en harmonie avec une personne qui n’a pas l’intention de l’être avec vous. On ne peut pas demander constamment au partenaire de s’harmoniser avec soi parce que ça ne marche pas comme cela dans la vie, et là je ne parle pas seulement de conflit physique. On ne peut pas attendre que les évènements s’adaptent à soi,  il faut s’adapter à eux. Bien sûr cela ne se résume pas à la seule efficacité technique. C’est un travail permanent sur soi, qui fait que l’on se sent bien avec les autres. J’ai dû suivre 50 ou 60 stages en Europe, plus mes 10 ans à Iwama pour comprendre cela profondément.

On dit souvent que l’Aïkido d’Iwama représente la branche dure de l’Aïkido. Êtes-vous d’accord avec cette définition ?

D.T. : Non, pas du tout. Peut être que vu de l’extérieur cela donne cette impression, mais c’est faux. Saïto Senseï n’a jamais dit qu’il fallait être dur. Bien au contraire, il était toujours soucieux de l’intégrité physique des personnes. Il se mettait en colère quand on se blessait les uns les autres. Il insistait d’ailleurs sur le fait qu’il faut de la souplesse dans l’exécution des techniques en kihon, apparemment statiques (ce n’est qu’une étape pour comprendre les fondements d’une technique lorsque l’on est saisi fermement) et qu’il faut mettre une certaine fermeté dans l’exécution des techniques en Ki no nagare ou forme fluide (étape suivante donc, avec plusieurs niveaux d’exécution). Yin et Yang en quelque sorte. Saito Senseï était époustouflant de fluidité et de souplesse dans ses techniques tout en dégageant une puissance extraordinaire. Je vous dirai juste que c’est lui le modèle et que c’est lui qu’il faut regarder si l’on veut avoir une idée juste de ce qu’est vraiment Iwama Ryu. Ne pas hésiter à lire ses nombreuses interviews répertoriées sur Internet, c’est le meilleur moyen d’avoir les réponses aux questions que l’on se pose sur l’école Iwama et l’Aïkido. Nous, ses élèves, sommes juste là pour essayer de préserver de façon vivante ce qu’il nous a transmis, chacun avec son niveau de compréhension et de compétence.

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À présent que Morihiro Saïto a disparu, comment faites-vous pour apprendre et progresser ?

D.T. : Grâce aux stages que je donne et aux innombrables rencontres que je fais. Chaque corps m’enseigne quelque chose, même les débutants. Les réactions sont différentes selon le niveau, le gabarit, mais aussi la culture. Je rentre juste de Moscou où je dirigeais un stage il y a quelques jours. Des gabarits et des attentes différentes, car croyez-moi ils veulent du concret. Je me rends compte au cours de mes nombreux déplacements à l’étranger des différences culturelles à travers la pratique, mais globalement les êtres humains fonctionnent tous plus ou moins de la même façon. Parfois je fais une impasse sur le « cérémonial », car les gens peuvent exprimer le respect sous une autre forme. L’essentiel c’est le cœur. Par contre, je suis intransigeant sur la technique, car l’Aïkido s’exprime et s’explique à travers elle et elle seule, mais je peux être souple avec tout le reste du moment que le cœur et le respect y sont. Adapter les principes de l’Aïkido selon les mentalités, cultures ou religions est un moyen de vérifier qu’il s’agit bien là d’un art universel qui de plus, et il ne faut l’oublier, véhicule un message de paix entre les êtres humains. C’est un message qui est très bien accueilli partout et donne un peu d’espoir pour l’avenir…

Voyager aussi souvent, cela n’est-il pas un handicap finalement pour sa progression personnelle ? Cela doit être difficile d’avoir un temps pour soi, non ?

D.T. : C’est vrai. Ce qui est fatiguant ce ne sont pas les stages ou les rencontres, mais tout les à-côtés, les déplacements, les attentes dans les aéroports. Oui, j’avoue que je dois absolument retrouver du temps pour moi. Mais l’évolution dans ma pratique est bien là pour autant.

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En progressant dans votre technique, arrivez-vous à conceptualiser ou à établir une philosophie autour de ce que vous ressentez, vivez, mettez en pratique ?

D.T. : (Sourire amusé). Non je ne fais pas de philo. Je suis une personne simple. N’importe quel intellectuel avec un peu de talent et de la pratique peut écrire sur l’harmonie, le Yin et le Yang, etc. Mais, vivre les principes de sa pratique dans sa chair, tous les jours, dans le moindre de ses actes, c’est déjà un exploit. Alors, je ne me prends pas la tête et j’intériorise. Cette philosophie est la mienne et elle ne regarde que moi. Je ne vais pas l’imposer au monde, y en a bien assez comme ça.

Après bientôt 40 ans de pratique de l’Aïkido, quand vous regardez l’avenir, qu’est-ce que vous y voyez ?

D.T. : À un moment donné, j’ai eu le sentiment d’avoir perdu beaucoup de temps. Mais ce temps perdu m’a construit pour faire de moi ce que je suis aujourd’hui et pour me permettre de savoir où je veux aller. Je n’ai donc pas de regrets, car je sais maintenant vers quoi je veux me diriger, je sais précisément ce que je veux faire et surtout ce que je ne veux plus faire. Mais j’ai plein de projets. C’est ainsi que je conserve l’esprit enthousiaste du débutant. Si je n’ai plus cet engouement, j’arrête tout de suite.

Justement, à propos de l’engouement, qu’est-ce qui pousse une personne normalement constituée à monter tous les jours de sa vie sur le tatami et à continuer à pratiquer sans fin, tout en sachant qu’il n’y a pas de fin d’ailleurs ?

D.T. : On cherche tous le bonheur, non ? Pour moi l’Aïkido est en quelque sorte une quête pour trouver le bonheur, la paix et la sérénité, pour essayer de devenir une meilleure personne. Plus les années passent et plus je suis convaincu que toutes les querelles de personnes et de pouvoir n’ont aucun intérêt. Progressons tous ensemble, échangeons et amusons-nous. La vie est finalement trop courte pour perdre un temps précieux, il faut se concentrer sur l’essentiel. Cela demande parfois du temps pour comprendre des choses simples. Et c’est effectivement une voie sans fin… mais la route est tellement agréable.

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Si vous aviez un conseil à donner aux lecteurs, quel serait-il ?

D.T. : Un jour un journaliste a posé cette question à Saïto Senseï. Je vais vous donner la même réponse : « trouver un bon professeur ».

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(1) : Morihiro Saïto Senseï, élève d’O Senseï au Dojo d’Iwama avant d’en devenir le responsable à la mort de ce dernier.

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Ivan Bel

Depuis 30 ans, Ivan Bel pratique les arts martiaux : Judo, Aïkido, Kenjutsu, Iaïdo, Karaté, Qwankido, Taijiquanet Qigong. Il a dirigé le magazine en ligne Aïkidoka.fr, puis fonde ce site. Aujourd'hui, il enseigne le Ryoho Shiatsu et la méditation qu'il exerce au quotidien, tout en continuant à pratiquer et écrire sur les arts martiaux du monde entier.

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