Fu Hao : aux origines de l’histoire martiale

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portrait Fu Hao la femme à la hacheBien souvent on se demande qui fut le premier des pratiquants d’arts martiaux, qui a amené quoi et dans quel pays, quelles sont les techniques martiales, comment ont-elles évolué, etc. En ce qui concerne l’Asie orientale, les légendes ne manquent pas. Mais en termes d’Histoire des arts martiaux claire et officielle, les historiens s’accordent sur un nom qui est l’ancêtre historique de tous les pratiquants d’arts martiaux : Fu Hao. Et plus qu’un ancêtre, il s’agit d’une femme. Voilà de quoi remettre les pendules à l’heure sur la place des femmes dans l’art de la guerre.

Lorsque j’ai débuté ce site par un simple blog, j’avais commencé par les femmes samouraïs dans le Japon ancien. Quelques années et bien des lectures plus tard, me voilà en face de notre ancêtre historique Fu Hao, femme de l’empereur Wu Ding, grande prêtresse, mais surtout la plus éminente des généraux qui fit la richesse de la fin de la dynastie Shang. Pour bien comprendre qui est ce personnage, il faut plonger dans l’âge du bronze, à l’époque où les premières villes et royaumes chinois se mettent en place.

La dynastie Shang est la seconde de l’histoire classique de la Chine, qui débute par le règne de Tang le victorieux (Cheng Tang 成湯 -1767/-1753) au 2e millénaire avant notre ère. À ce moment-là, le peuple chinois n’est pas unifié comme aujourd’hui où l’ethnie majoritaire est les Han (90% de la population) et les 50 autres ethnies ne sont que des minorités. Mais à cette époque nombreux sont les grands peuples comme le Ba, les Yi, les Qiang, les Han… et les Shang donc. Tang le victorieux bat le dernier roi de la dynastie Xia et installe son pouvoir dans la plaine centrale et du nord, dans la région de l’actuelle Pékin.

Carte de la dynastie Shang

L’importance du bronze

Les Shang mettent en place les premières instances étatiques et dynastiques, ainsi que le culte au Ciel. Les armes de bronze permirent également de révolutionner l’art de la guerre en mettant à disposition des soldats des armes passablement tranchantes, mais surtout des pontes de flèches et des haches. Haches et épées devaient être larges et épaisses afin de résister aux chocs, car la résistance du bronze est limitée. Mais indubitablement, le royaume qui maîtrisa la fonte à grande échelle du bronze prenait un avantage certain sur ses ennemis. Ce fut le cas des Shang.

Hache de bronze de la tombe de Fu Hao

(Hache de bronze provenant de la tombe de Fu Hao)

Par ailleurs, les socs de charrue permirent de commencer le labour et les rendements furent améliorés, même si là aussi, le bronze avait une résistance toute relative. Toutefois, le royaume qui pouvait accumuler plus de céréales (blé, millet et sorgho dans la plaine centrale) pouvait nourrir des troupes plus importantes. C’est ainsi que les Shang furent les premiers à lever des troupes qui se comptaient en milliers d’individus.

Enfin, le bronze permettait également de créer des objets rituels, de culte, de stockage sur lesquels on pouvait inscrire des signes, des symboles, de dessins et les débuts du langage chinois. Ces gravures permirent, avec les textes gravés sur pierre, de transmettre des informations jusqu’à nos jours.

Fu Hao, une femme sur le champ de bataille

wu_ding dynastie ShangLa dynastie Shang connut des hauts et des bas selon les dirigeants à la tête du royaume. Pour cette raison, elle connut différentes capitales. À partir de -1300 débuta l’ère de leur dernière capitale Anyang où régna l’empereur Wu Ding, le 21e de cette dynastie. Cet empereur était très conscient de l’état de dégradation de son royaume que ses ancêtres n’avaient pas maintenu assez fermement. Il avait décidé de redonner tout son éclat à la dynastie Shang sur le déclin. Dans un effort important pour retrouver sa souveraineté sur un grand nombre de territoires, il soutint un effort de guerre important dans toutes les directions. Parmi les différents généraux qui combattaient en son nom, Fu Hao était de loin la plus célèbre de tous. Tout d’abord parce que c’était une femme et aussi une grande prêtresse. Ensuite parce que c’était l’une des épouses de l’empereur, et que ces derniers n’avaient pas pour habitude d’envoyer leurs femmes sur les champs de bataille. Enfin parce qu’elle faisait figure de générale en chef. Son armée comportait jusqu’à 13.000 hommes, ce qui était la plus grosse des troupes Shang sur le terrain. Elle les mena à la victoire contre les troupes de Ba, des Yi et des Qiang. Mais son coup d’éclat fut de mettre fin à l’incessante guerre avec le royaume de Tufang. Elle y alla seule (avec ses hommes bien sûr) et sans autre commandant et mis à genou le Tufang en une seule bataille. Elle fit exécuter tous les prisonniers pour marquer les esprits et exigea de son mari qu’un scribe note clairement que cette victoire était le fait d’une femme, pour que la postérité ne l’oublie pas.

Statue Fu HaoLe fait d’être un général d’armée à l’âge de bronze n’était pas rien. Non seulement il fallait être un expert dans l’art de la stratégie, mais également dans le maniement des troupes, le commandement, le ravitaillement, la compréhension du terrain, l’espionnage et la maîtrise de l’information ou de la désinformation, mais en plus il fallait savoir manier les armes. Mieux encore, il fallait savoir se battre de manière efficace. Les chefs d’armées à l’époque ne se contentaient pas de donner des ordres, mais il devait montrer leur courage auprès de leurs hommes en combattant en première ligne. Fu Hao était donc une experte en arts de la guerre, maniement des armes (dont sa favorite semble avoir été la hache) et devait avoir de l’expérience issue directement du champ de bataille. Elle connut bien des affrontements et sortit toujours victorieuse, c’est dire sa capacité guerrière.

Le tombeau merveilleux

On connaît relativement bien l’histoire de Fu Hao, car les fouilles de 1976 permirent de mettre à jour de nombreux tombeaux, dont le sien, le seul qui était resté intact.

Fouilles tombe Fu Hao à Anyang

Dans le cimetière de Xibeigang (ville autour d’Anyang), son tombeau comprenait 468 artefacts en bronze (soit 1,6 tonne de bronze), 755 jades, 11 poteries, 500 épingles à cheveux, 6900 cauris, des armes six chiens et seize serviteurs probablement tués sur place, tous les insignes généralement dédiés aux grands guerriers de noble lignée. Mais ce sont surtout les caveaux alentour qui informèrent les archéologues sur la vie de Fu Hao. Ces caveaux étaient couverts d’écriture relatant la période Anyang de la dynastie Shang. Dans l’un d’entre eux, le nom de Fu Hao y apparaît pas moins de 200 fois, relatant ses batailles, ses faits d’armes, les étapes de sa vie et bien sûr son mariage avec Wu Ding.

Fu_Hao_Tomb_in_situ_simulated_artifacts

Wu Ding était si content de sa « générale », qu’il lui offrit un vaste domaine au nord de son royaume. Ce faisant, il faisait d’une pierre deux coups, car elle garantissait ainsi sa frontière contre les peuples nomades, ces barbares que l’on ne nommait pas encore Mongols, ni Xiongnu, mais proto-mongols à défaut de connaître leurs noms. Elle ne dut pas connaître une vie paisible à ne rien faire en son château, mais plutôt poursuivre des incursions en territoire hostile pour prévenir de toute invasion du royaume Shang par le nord.

L’ancêtre des pratiquants d’arts martiaux

Fu Hao est le premier nom historique et certifié du monde des arts martiaux, ici au sens propre, c’est-à-dire des arts de la guerre. C’est d’ailleurs étonnant que ce soit ce nom dont la traduction de 婦好 littérale signifie « bonne épouse ». À sa mort elle reçut le nom posthume de mère Xin (母辛 ou Mu Xin), mais on peut raisonnablement penser que ces noms sont des surnoms et non pas celui d’origine. Peu importe, c’est ainsi que l’histoire se souvient d’elle. À cette période, on ne pratiquait quasiment pas d’art du combat sans arme, à part pour la lutte traditionnelle qui permettait aux soldats de s’affronter à l’entraînement et de se renforcer. Les arts martiaux étaient une histoire de vie ou de mort, et mieux valait être solide pour supporter le choc des armées et rapide aux maniements des armes pour espérer s’en sortir vivant.

lutte chinoise ancienne

Le fait que Fu Hao soit une femme guerrière montre que la discrimination sexiste faite aux femmes chinoises en matière de combat vient plus tardivement dans l’histoire du pays. On sait que plus tard, le responsable d’une école d’arts martiaux ne pouvait la transmettre à sa fille par exemple. Mais les femmes combattantes furent nombreuses tout au long de l’histoire et la crispation envers le genre féminin n’arriva qu’à partir du 10e siècle apr. J.-C., période à laquelle on vit apparaître l’horrible tradition des pieds bandés.

Bien sûr il y avait déjà depuis longtemps des pratiquants d’arts martiaux talentueux, mais les historiens asiatiques n’ont pas de noms plus anciens à proposer aujourd’hui en l’état actuel des fouilles. J’en profite donc pour rappeler qu’il faut apprendre à mieux respecter les femmes pratiquantes d’arts martiaux de nos jours, les considérer comme tout à fait capables et se souvenir que nous sommes tous issus d’une mère qui livra le plus grand des combats : celui de la vie.

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Ivan Bel

Depuis 30 ans, Ivan Bel pratique les arts martiaux : Judo, Aïkido, Kenjutsu, Iaïdo, Karaté, Qwankido, Taijiquanet Qigong. Il a dirigé le magazine en ligne Aïkidoka.fr, puis fonde ce site. Aujourd'hui, il enseigne le Ryoho Shiatsu et la méditation qu'il exerce au quotidien, tout en continuant à pratiquer et écrire sur les arts martiaux du monde entier.

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