Invasions mongoles du Japon 1 : les circonstances historiques
Lorsqu’en 1260 Kubilai devient le grand Khan de tous les mongols, les japonais sont loin de se douter que cet événement aura des conséquences inédites pour leur archipel. Ce couronnement sera le point de départ de deux invasions comme le Japon n’en avait jamais connu jusqu’alors dans son histoire.
Depuis des dizaines d’années déjà, le continent asiatique est secoué par un phénomène sans précédent : la montée en puissance des mongols. Réunis sous la bannière de Gengis Khan (image de gauche) après de nombreuses guerres claniques, les tribus des steppes mongoles se sont aussitôt orientées vers la Chine du Nord. Poussant leur avantage, ils défirent le royaume des Xia (en chinois, le Xixia, à la frontière chinoise), puis se dirigèrent vers Zhongdu (l’actuelle Pékin) la capitale des Jin. Kubilai, petit fils de Gengis, naquit le jour même de la prise de Pékin. Il grandit ensuite sous le règne du frère de Gengis, Ogodeï, puis fit ses premières armes sous le règne de son oncle Mongke. A la mort de ce dernier, il lutta contre un de ses cousins et devint le Kaghan, le grand Khan de toutes les tribus. Celles-ci s’étaient entre temps éparpillées à travers les plaines de Russie, jusqu’à l’Europe, mais aussi en direction de l’Asie centrale et du nord de l’Inde.
(Carte des royaumes d’Asie avant la conquête mongole)
Lors de sa jeunesse, Kubilai avait lutté contre les Khitans (sur le territoire de la Mandchourie) les poussant à la fois vers l’ouest (en Asie centrale) et vers l’Est. Pour fuir à l’Est les Khitans envahirent le nord de la Corée. Kubilai, qui fut un général redoutable et génial, découvrit ainsi le royaume de Corée qui se trouvait au-delà de la rivière Yalu. Il apprit des Coréens l’existence du Japon, surnommé la Terre de l’or. En effet, les continentaux connaissait bien le Japon.
La légende de la Terre de l’or
Les coréens d’abord parce que les japonais étaient avant tout associés aux pirates ( les terribles wako ) qui ravageaient leurs villes côtières. Les chinois surtout, parce qu’ils recevaient des tonnes d’or du Japon, soit pour les temples via les relations monastiques qu’ils entretenaient, soit comme mode de paiement pour les échanges commerciaux, notamment avec la dynastie finissante des Song du sud. Pour comprendre la vision des chinois à cet égard, il faut savoir que la délégation japonaise forte de 500 personnes qui partit pour l’empire du milieu en 804, avait fait forte impression. La raison principale en est que l’ambassadeur disposait de 13 kg d’or pur pour ses dépenses et frais personnels. Par ailleurs, dès la découverte de l’or au Japon, les temples en firent une grande consommation pour dorer leurs bouddhas ou les toîts des monastères (exemple, le Pavillon d’or à Kyoto, ou Shokoku-ji). La légende de la Terre de l’or n’a fait que se renforcer à travers les siècles grâce aux voyageurs, moines et médecins chinois qui se rendirent au Japon, jusqu’à ce que ce pays se referme sur lui-même. Et c’est justement une période de repli que connaît le Japon au moment oū Kubilai Khan s’installe dans l’ancienne Zhongdu, rebaptisée Dadu ( grande capitale). Au passage, la ville s’appelait aussi Khanbalik (ville du Khan), que Marco Polo traduira par Cambaluc. Ce repli sur les affaires internes de la période Kamakura fait que ses habitants ne se sentaient que peu concernés par les turbulences du continent. Au contraire, l’affaiblissement de la Corée qui luttait contre les Mongols, permit aux wako d’augmenter leurs raids et leurs pillages, tandis que les Song du sud de la Chine intensifiaient leur commerce avec le Japon. Comme le dit le dicton, le malheur des uns fait le bonheur des autres. Mais dans son immense œuvre de conquête, Kubilai avait besoin du nerf de la guerre, c’est à dire d’or, et en grande quantité.
En 1265, la Corée tombe sous le joug de l’empire mongol, ce qui mit fin aux raids des wako sur ce pays facilement à leur portée. Cette nouvelle conquête permit à Kubilai de mettre la main sur une flotte de guerre qu’il ne possédait pas jusqu’alors. Mais il l’utilisa avant tout à créer des blocus sur les ports du sud de la Chine, afin de les couper de leurs ressources commerciales… Ce qui par ricochet pénalisa les commerçants japonais. Cette fois les choses commencèrent à se corser pour l’archipel nippon qui prit conscience que les changements sur le continent pouvaient avoir un impact chez eux.
Un faisceau d’intérêts puissants
Plusieurs phénomènes se passèrent alors. Tout d’abord, les mongols firent une véritable révolution militaire. Ces cavaliers des steppes qui ne juraient que par le cheval, apprirent rapidement au contact des coréens l’art de la marine. On a du mal à imaginer les efforts de ce qui dut être une refonte complète de leur culture guerrière. Deuxièmement, grâce à la capture de la marine coréenne, Kubilai put tourner son attention sur la moitié Sud de la Chine, et notamment créer des blocus sur les ports des villes côtières chinoises. Devant l’efficacité de sa marine, il décida d’augmenter sa capacité navale. Il demanda alors à la Corée de construire un millier de navires et de les mettre à sa disposition. Les coréens durent se plier à la demande du Grand Khan et accueillir en même temps quelques 10.000 soldats sur ses terres.
(une révolution militaire mongole, du cheval au navire)
Troisièmement, les coréens qui avaient à cette époque le Japon en horreur cherchèrent à influencer les mongols pour que cet effort de guerre se dirige aussi contre l’archipel nippon. Tant qu’à être envahit et soumis par une force immense, autant se venger sur ses voisins. Cela fut d’autant plus possible que les coréens fut continuellement les porteurs des efforts diplomatiques de l’empire mongol vers le Japon. Ils purent donc influencer dans un sens où un autre les missions diplomatiques vers la Terre de l’or.
La convergence de ces divers intérêts donnèrent naissance en 1263 à la première délégation diplomatique auprès du Japon. Celle-ci demandait au Japon d’établir des relations amicales avec lui et de reconnaître la suzeraineté de l’empire mongol en payant un tribut. Conscients de leur position et afin de ne pas fâcher leur nouveau voisin du nord de l’Asie, le shogunat choisit de ne pas répondre.
Les efforts diplomatiques de Kubilai Khan
De 1266 à 1274, les différentes lettres diplomatiques de Kubilai Khan (image à gauche) resteront sans réponse, et ce, pour plusieurs raisons. Tout d’abord parce que la Japon entretenait des relations commerciales avec la dynastie des Song du sud de la Chine. Mais surtout parce que le gouvernement de Kamakura avait une grande passion pour le zen, issu du bouddhisme Chan chinois. Le Zen plaisait aux bushi par sa rigueur, mais était également une arme politique pour finir de contrer l’influence des grands monastères du bouddhisme classique (lire Histoire des Sohei 2). Du coup les échanges entre les moines des deux pays étaient fréquents et permettaient au Japon de se tenir informé de l’avancée des mongols. Enfin, la dernière raison tenait aux termes mêmes des lettres diplomatiques.
Voici en entier celle de 1268 : » L’Empereur des Grands Mongols, représentant du Ciel, présente respectueusement une lettre au Roi des japonais. Depuis des temps immémoriaux les dirigeants des petits états dont les frontières sont communes [avec les grands états] se sont toujours engagés à maintenir de bonnes relations et ont manifesté confiance et respect mutuel. De notre côté, nous, qui depuis le temps de nos pères avons reçu le mandat céleste, dirigeons l’univers. D’innombrables gens des terres lointaines ont appris à craindre notre pouvoir et ont désiré notre gouvernement vertueux. Quand nous sommes montés sur le trône, le peuple innocent et sans espoir de la Corée souffrait depuis longtemps d’affrontements militaires. Nous avons par conséquent ordonné la fin des hostilités, rendu leur terre et libéré les prisonniers coréens, jeunes et vieux.
Par gratitude, les dirigeants et le peuple de Corée se présentent maintenant à notre cour. Bien que la relation légale entre nous-mêmes et les coréens soit celle qui existe entre souverain et sujets, dans notre cœur c’est en fait celle qui prévaut entre père et ses enfants. Nous partons du principe que votre majesté et ses sujets connaissent cela également. La Corée est notre état vassal de l’est devant tribut. Le Japon est situé près de la Corée, et depuis sa fondation a établi des relations avec l’Empire du Milieu. Cependant, depuis notre accession au trône vous n’avez pas présenté d’envoyé à notre cour, ni n’avez indiqué votre désir d’établir des relations amicales avec nous. Nous craignons que la raison soit que vous n’ayez pas été bien informé de cela. Par conséquent nous vous présentons un envoyé spécial, porteur de nos papiers d’état afin de vous informer de notre désir. Nous espérons qu’ainsi vous établirez des relations amicales avec nous, et que nos deux peuples seront en paix et en harmonie. De plus, les sages considèrent que l’univers entier ne forme qu’une seule famille. Toutefois, si nous ne devions pas établir de relations amicales l’un avec l’autre, comment pourrions-nous être en accord avec la doctrine de la famille unifiée ? Qui se soucierait alors d’un appel aux armes ? Je laisse cela à la considération attentive de votre majesté « .
Même si la traduction de cette lettre n’est pas parfaite (veuillez m’en excuser à l’avance, car elle est de moi), elle rend l’essentiel de son contenu. Tout d’abord elle reflète clairement que Kubilai est désormais à la tête de la Chine (l’Empire du Milieu), même si dans les faits il n’ en possède que la moitié Nord, et qu’il se place en successeur des empereurs précédents. Il fonde d’ailleurs la dynastie des Yuan en 1271, sinisant un peu plus les mongols. Les états proches de la Chine doivent donc jouer leur rôle de vassaux et payer tribut, comme à l’accoutumée. Mais cela n’a jamais été le cas du Japon, et ce pays n’a pas l’intention que cela change. Ensuite, l’erreur dans les termes « roi du Japon » ne peut qu’offenser l’empereur nippon. Mais pour la Chine, il ne peut y avoir deux empereurs mandatés par le Ciel. En revanche, un roi peut se soumettre à un empereur, c’est dans l’ordre des choses, d’où le choix de ce terme. Enfin, la menace explicite d’un appel aux armes et donc de la guerre, n’est pas le meilleur moyen d’amadouer les japonais. Ceux-ci sont perpétuellement en guerre, ils connaissent bien cette situation qui ne leur fait pas peur. Le shogun est un dirigeant issu de la caste militaire (de la famille des Hojo), la guerre est son moyen de gouverner le pays. Enfin la proposition de soumission totale ou la guerre reviendrait à leur faire perdre la face, chose inconcevable en Asie, encore de nos jours.
Un engrenage stratégico-diplomatique
La lettre fit le tour du bakufu et de la cour impériale et les deux, pour une fois d’accord, la rejetèrent pour les raisons évoquées précédemment. Aucune réponse ne fut donné aux mongols. Ne comprenant pas ce silence, Kubilai envoya régulièrement des ambassades afin d’insister. Mais en parallèle il somma un lettré chinois du nom de Zhao LiangBi d’aller sur place pour étudier ces japonais et mieux les cerner. Peut être faisait-il simplement une erreur d’appréciation culturelle et il ne voulait pas passer à côté. Zhao LiangBi fut tout d’abord bloqué par les coréens qui lui déconseillèrent d’aller sur place. Il perdit une année et finalement put se rendre dans l’archipel. Là, il séjouran une année complète au Japon (en 1270). Il revint avec ce constat : » j’ai vécu un an et observé le peuple japonais et ses coutumes. Ils sont cruels et assoiffés de sang. Ils ne reconnaissent pas le lien qui unit le fils à son père, ni l’étiquette qui lie un inférieur à un supérieur« . Le tableau ne pouvait pas encourager Kubilai Khan à avoir de bons sentiments à l’égard des japonais.
Fondamentalement, le Japon ne représentait pas une menace pour Kubilai Khan et il aurait très bien pu laisser l’archipel à son isolement. Mais le simple fait qu’ils possèdent de l’or d’une part, et que d’autre part ils fassent du négoce avec son plus grand ennemi du moment, les Song du sud, il ne pouvait laisser passer cela. Les japonais, notamment les bushi, étaient réputés pour leur bravoure à la guerre. L’idée de Kubilai était de soumettre le Japon afin d’incorporer les bushi dans ses troupes, comme il l’avait fait de tous les autres peuples conquis. Dans son esprit, la combinaison de troupes mongolo-nippones lui assurerait la victoire sur n’importe quel terrain. Tant que sa flotte n’était pas prête, il continua les efforts diplomatiques jusqu’en 1274. Mais dans son esprit sa décision était déjà arrêtée : il allait envahir le Japon à l’aide d’un débarquement encore jamais vu dans l’histoire du monde.
Bravo Ivan je ne te savais pas si féru d’histoire et si calé en la matière…
J’en ai appris beaucoup
Mille mercis
Befnard Bouheret
Bonjour Bernard,
Quelle bonne surprise de te compter désormais parmi mes lecteurs. 5 ans aux langues’Orientales m’ont appris beaucoup sur la Chine, son histoire, sa philosophie et comme tu le sais maintenant sur sa médecine. Maintenant, cela fait bientôt 30 ans que je fais des arts martiaux, et l’histoire du Japon me passionne.
A bientôt, à mon retour du Sri Lanka, où j’ai découvert l’Angampora, un art martial passionnant.
ivan
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