Katsujinken et Satsujinken : aux racines du Budo

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L’étude des kanjis permet toujours de pénétrer plus avant la compréhension des principes et des concepts martiaux que nous étudions. L’analyse du caractère Bu nous permet de mieux réaliser ce qu’il implique et les transformations qui se sont déroulées au cours de l’histoire des arts martiaux.

BudoDans le mot Budo, il y a le caractère Bu (武), dont le sens est « la guerre ». On le retrouve dans le mot Bushi, ou guerrier, qui servait à désigner les combattants bien avant que le mot Samouraï soit utilisé. Si on le regarde de plus près, on peut voir qu’il se compose de deux radicaux. En haut à droite, le signe de la hallebarde (naginata). En bas à gauche, le verbe tomeru, qui signifie « arrêter quelque chose ». Ce mot peut alors se lire comme « la guerre : l’art d’arrêter la hallebarde ».

Il y a deux manières de comprendre cette lecture. Tout d’abord, il s’agit de l’art du guerrier qui se doit de pouvoir bloquer n’importe quelle arme qui l’attaque ou attaque son seigneur. La hallebarde a sans doute été choisie dans la composition du caractère, car elle fut marquante à plus d’un égard. En effet, elle permettait d’avoir une lame aussi tranchante et courbe que le sabre au bout d’un long bâton, ce qui mettait les sabreurs en fâcheuses postures, l’avantage de la distance étant pour celui qui tenait la naginata. La naginata est aussi un « fauchard », c’est-à-dire qu’elle servait à contrer la cavalerie, à couper les jarrets des chevaux. La cavalerie était, comme en Europe, constituée par les chevaliers, c’est-à-dire par la noblesse. Le fait qu’elle put être mise à bas par la piétaille armée d’un coupe-jarret dû être assez traumatisant pour l’élite guerrière de l’époque. Ce changement fut en tout cas déterminant dans l’art de mener les batailles et remit les troupes à pied au premier plan dans les tactiques de combat.

Il fallait donc que le guerrier soit un combattant hors pair afin d’être capable de rester noble (comprendre rester sur son cheval) et d’arrêter la hallebarde.

Mais il existe une seconde possibilité de lecture du kanji Bu : celui où le guerrier arrête d’utiliser une arme. Ce sens, s’il est certainement postérieur au premier, n’est pas inintéressant. Il dénote de l’évolution du Bushi qui passe de chien de guerre adapté aux grands champs de bataille au Samouraï qui cherche une voie dans sa pratique. Selon cette version, Bu serait donc la guerre (ou le guerrier) qui apporte la paix sans faire parler les armes.

 

On peut reprendre cette explication à travers les mots Bujutsu (武 術) et Budo (武 道). Bujutsu ou « techniques guerrières », représentent encore aujourd’hui, une tradition martiale directement issue des méthodes de combats éprouvées au fil des combats. Leur but est donc de vaincre, dans le cadre d’une bataille, et de tuer. Budo, ou « Voie martiale », est une recherche à travers des techniques issues des Bujutsu, mais modifiées afin de gommer partiellement l’aspect guerrier. Cette modification correspond à un besoin précis : se détacher de la forme et du but pour aller vers une quête de soi et apporter la paix plutôt que la destruction. C’est pourquoi les Budo sont des arts martiaux récents qui datent des 19e  et 20e siècles.

Ce changement de sens et de quête se retrouve pourtant assez tôt dans l’histoire des arts martiaux japonais. C’est le fils du fondateur de l’école Yagyû-Shinkage, le célèbre Yagyû Munenori (1571-1646), qui le premier nota ce changement par écrit. Il ne fut sans doute pas le premier à en parler ou à l’envisager, mais le premier escrimeur à rédiger un livre à ce sujet. Selon lui, jusqu’ici le sabre était destiné à tuer, c’est-à-dire à bloquer la hallebarde pour mieux riposter. Cette notion est connue sous le terme Satsujinken « le sabre qui tue ou qui prend la vie ». On peut aussi intervertir le terme Ken par To (que l’on trouve dans Iaïto, tanto, bokuto) et dire satsujinto. Mais le fait de bloquer la hallebarde pour ne plus tuer, pour annuler le combat ou pour laisser tomber les armes correspond à Katsujinken, « le sabre qui préserve la vie ». C’est d’ailleurs le titre que Munenori donna à son ouvrage. Les Budo s’inscrivent clairement dans cette optique, celui de la préservation de la vie. Le résultat direct est la préservation des pratiquants du Budo via des techniques non blessantes. Dans les Bujutsu, tels qu’enseignés traditionnellement, les deshi étaient régulièrement victimes de leur senseï ou de leur sempaï. Lors d’un shiaï (assaut), il n’était pas rare de voir les étudiants en sortir sérieusement blessés. Ceci explique pourquoi dans les Budo les techniques ont été codifiées et transformées afin de préserver les étudiants et de permettre la construction de celui-ci à travers les années. La transformation implique de ne plus axer le travail sur l’absolue nécessité de vaincre ou de mourir, mais de se transcender et de chercher un idéal de perfection du geste et de l’esprit à travers une voie.

 

Ces précisions sémantiques nous permettent de comprendre alors que le débat sur l’efficacité de tel ou tel Budo, débat stérile dont l’Aïkido est souvent l’objet, n’est pas à l’ordre du jour puisque complètement hors de propos. L’efficacité n’est plus le but de la quête, même si incidemment il se développe à force de travail.

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Ivan Bel

Depuis 30 ans, Ivan Bel pratique les arts martiaux : Judo, Aïkido, Kenjutsu, Iaïdo, Karaté, Qwankido, Taijiquanet Qigong. Il a dirigé le magazine en ligne Aïkidoka.fr, puis fonde ce site. Aujourd'hui, il enseigne le Ryoho Shiatsu et la méditation qu'il exerce au quotidien, tout en continuant à pratiquer et écrire sur les arts martiaux du monde entier.

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