Kimono et keikogi

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kendogiJ’ai été très surpris de lire récemment sur trois sites différents d’arts martiaux, que les auteurs aient écrit kimono à la place keikogi. Cette erreur est apparemment encore très courante, malgré les nombreux articles détaillés consacrés à ce sujet. Voici un petit rappel de ce que sont ces deux habits.

Kimono et keikogi sont deux choses assez radicalement différentes. Si l’on étudie les caractères on s’aperçoit que kimono est composé de ki (着, du verbe kiru qui signifie porter) et de mono (物, la chose), ce qui donne littéralement « la chose qu’on porte ». De son côté keikogi est composé de keiko (稽古, le travail, l’entraînement, la pratique) et de gi (着, le vêtement), ce qui donne « le vêtement d’entraînement ». Le premier était porté par tous comme étant un habit plus ou moins précieux, l’autre comme un habit de travail. Tout sépare donc ces deux types de vêtements.

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Avant l’arrivée et l’influence des vêtements occidentaux, le Japon ne connaissait que ses propres modes vestimentaires, et ce jusqu’au 19e siècle. Le kimono est un habit sans doute d’origine chinoise. Il a été clairement influencé par un vêtement similaire de la dynastie Han (le hanfu chinois, appelé kanfuku en japonais. Les Han de -202 av J.C. à +220 ap. J.C.) mais finalement il fut appelé gofuku en référence à la dynastie des Wu (l’un des trois royaumes chinois après les Han, de 229 à 280 ap. J.C.), période où les habits furent plus soignés. Le kimono connut surtout une grande popularité à partir de 8e siècle, grâce aux nombreux échanges avec la Chine de cette époque. On attribua notamment un grand décolleté au kimono. Le kimono devint très stylisé pendant la période Heian, puis devint mono-pièce sous la période Muromachi. Il prit alors le nom de kosode, alors que ce nom désignait avant cela les sous-vêtements, parce que ce kosode commença à se porter sans le hakama, ce fameux pantalon-culotte que l’on retrouve dans nombre de disciplines martiales actuelles.

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A la période Edo, les manches des kimono s’allongent, jusqu’à toucher le sol, notamment pour les jeunes filles. On appelle leur habit le furisode, mais le kimono était porté également par les hommes et les enfants. Le obi devient aussi la norme en matière de ceinture, mais ce n’a pas toujours été le cas. La forme, les styles, les dessins ont changé de nombreuses fois selon la mode du moment.

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(pliage du kimono)

Le kimono se porte toujours en posant le côté gauche sur le droit. L’inverse se fait aussi, mais uniquement sur les morts. Les kimono sont de véritables œuvres d’art, et leur prix peuvent coûter plusieurs milliers d’euros. C’est pourquoi ce vêtement, magnifique et fragile, est toujours aussi précieux. C’est également la raison pour laquelle les japonais lui préfèrent le yukata, moins cher et plus robuste.

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Le keikogi est spécifiquement une tenue inventée pour la pratique des arts martiaux. Et encore, il s’agit ici des budo moderne et non pas des kobudo qui se pratiquaient en kimono. C’est le judo qui a popularisé cet habit. A ses débuts, les pratiquants de judo venaient avec toutes sortes de kimono et de hakama, phénomène que l’on retrouve d’ailleurs dans les débuts de l’aïkido. Mais la veste solide en coton épais devint rapidement plus pratique pour des saisies puissantes (lire à ce sujet l’excellente réflexion de Léo Tamaki sur la perte des saisies classiques en raison de l’adoption du keikogi). D’abord de toutes les couleurs, le keikogi passa au blanc et fut nommé judogi (vêtement du judo). Lui aussi se porte de la gauche vers la droite. La raison martiale est simple : elle permet de dissimuler une lame et de la sortir avec la main droite, la main qui sert à dégainer le sabre. C’est la même raison que pour le port du kimono en fait. Chaque shin budo (art martial récent) a développé son propre gi. L’akidogi est un dérivé du judogi, avec le haut solide en coton épais et un peu rugueux appelé « côte d’abeilles ») et le bas un peu plus souple. Le karategi est en revanche composé d’une toile plus fine et lisse, car les saisies sont moins nombreuses. Il ne viendrait jamais à l’esprit d’un japonais de s’habiller d’un keikogi à la maison ou pour rendre visite à des amis. Ce vêtement reste un habit où l’on transpire, dans le cadre du dojo.

aikidogi

La confusion entre kimono et keikogi se comprend aisément. Le judo a été divulgué le premier à travers le monde. Mais ses débuts connurent le passage du kimono au keikogi. Par habitude, les japonais ont appelé ce vêtement « une chose qu’on porte », même si la forme et le style n’ont rien à voir. Les premiers occidentaux dont les judoka français ont appelé leur habit kimono, sans que cela ne heurte personne pendant longtemps. Aujourd’hui toutefois, la connaissance qu’ont les occidentaux des arts martiaux japonais ne devrait plus les laisser faire ce genre d’erreur. Imaginez-vous aller chez vos amis avec un jogging sentant la sueur. Vous préféreriez des habits civils, j’en suis sûr.

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(pliage du keikogi)

Au passage, je profite de ce petit article vestimentaire pour rappeler que le port du hakama dans les arts martiaux a toujours existé. Il ne correspond pas à l’obtention d’un bon niveau. De l’aveu même de Tamura Senseï, c’est un peu de sa faute s’il en est ainsi dans l’aïkido européen (lire l’interview de Léo, encore lui, avec N. Tamrua Senseï sur ce sujet). La confusion provient de l’après seconde guerre mondiale. Le hakama était devenu un objet cher dans un pays en ruines. Seuls les riches (peu nombreux alors) ou ceux qui en avaient avant guerre, portaient encore un hakama. Les américains qui furent les premiers à s’intéresser massivement et de près aux arts martiaux du pays occupé par leurs troupes, ont commencé à entrer dans les dojos. Là, ils ont pu constater que les porteurs de hakama (les anciens pratiquants en fait) étaient plus forts que ceux en keikogi simple. Ils en conclurent naturellement que le port du hakama était lié à un certain niveau de compétence, chose tout à fait erronée. Mais bon, tout le monde n’est pas anthropologue, surtout lorsqu’on est un marine américain qui sort de 5 ans de guerre dans le pacifique.

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Ivan Bel

Depuis 30 ans, Ivan Bel pratique les arts martiaux : Judo, Aïkido, Kenjutsu, Iaïdo, Karaté, Qwankido, Taijiquanet Qigong. Il a dirigé le magazine en ligne Aïkidoka.fr, puis fonde ce site. Aujourd'hui, il enseigne le Ryoho Shiatsu et la méditation qu'il exerce au quotidien, tout en continuant à pratiquer et écrire sur les arts martiaux du monde entier.

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