Le cycle du vide – 3

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Pour reprendre ce qui a été dit précédemment, sans le Yin, le Yang ne peut s’exprimer. Il faut du vide pour accueillir le plein. Et c’est là tout le génie créateur de O Senseï Morihei Ueshiba, fondateur de l’aïkido. Lorsqu’il était étudiant auprès de Takeda Sokaku, sa technique était dure, pleine. Comme la grande majorité des arts martiaux, la seule réponse à une attaque pleine est une réponse plus dure encore et plus puissante. Mais peu à peu il a su évoluer vers le vide.

Le vide dans l’aïkido

OSensei-mu-kamaeOn peut très bien voir l’évolution vers la notion de vide de O Senseï à sa garde sur les photos de lui avant et après-guerre. L’abandon d’une garde visible pour un mugamae (position sans garde) est parlante à de nombreux égards. C’est le symbole visible de l’adoption du vide pour inviter quiconque à venir vers lui, que la personne soit chargée de bonnes ou de mauvaises intentions. C’est aussi la preuve qu’il a étudié profondément la dimension du Tao et des principes de la nature, sans doute à travers ses voyages en Mandchourie (bien qu’on ne sache rien de ce qu’il a réellement lu, vu et fait là-bas) et sa pratique mystique auprès du maître Onasiburo. C’est également la preuve d’une intense méditation qui a dû lui ouvrir les portes du ressenti du vide. D’ailleurs, on le voit assez peu méditer sur les photos d’avant-guerre. La connaissance intime du vide qu’il a su développer lui permettait de répondre à n’importe quelle situation, notamment quand ses uechi deshi cherchaient à le surprendre à la sortie des toilettes (anecdote véridique).

Mais être sans garde ne veut pas dire être vide d’intention ni de capacité à répondre. Tous ceux qui l’ont approché de près peuvent témoigner sans exception de la fracassante puissance dont il faisait preuve. Son potentiel était pleinement arrivé à maturité lorsqu’il a rebaptisé son art Takemusu Aïki. Mais là où les techniques d’aïki sont les plus puissantes, c’est lorsqu’elles suppriment la force pour privilégier le vide. Comme nous l’avons vu, le vide attire irrésistiblement. Ikkyo sur un jodan tsuki est une réponse qui amène vers le sol en créant un vide si subit (à la vitesse de l’attaque en fait) que uke plonge à une vitesse vertigineuse vers le tatami. Koshinage est une bonne technique, mais elle devient bien supérieure lorsque aïte enlève le support des hanches et s’assoit en seiza pour créer un vide. Sans support, uke chute sans aucune chance de se retenir à quoi que ce soit et ne peut que tenter de ne pas se faire trop mal à l’atterrissage. Dans tous les cas de figure, le vide représente une technique plus puissante qu’en utilisant de la force. Pour la petite histoire, la dernière fois que j’ai eu le plaisir de saisir Léo Tamaki, j’ai vu le sol se rapprocher si vite que j’ai à peine eut le temps de tourner la tête pour éviter un atterrissage sur le nez. Me connaissant, il n’avait pas ralenti le mouvement et le vide dans sa technique était si bien réalisé que pour la première fois dans ma pratique de l’aïkido j’ai eu vraiment peur, ce qui au vu de mes 30 ans de pratique martiale est un exploit en soi. J’ai eu peur car je n’ai pas senti son déplacement ni vu son effacement. Le vide m’a littéralement aspiré. J’avais déjà ressenti cette sensation avec Tamura senseï, mais jamais avec autant de surprise.

leo issei tamaki

Le terme aïkido se traduit par « la voie de l’union des énergies ». Cela revient à dire qu’il créé le vide pour pouvoir attirer les énergies et les faire fusionner. Toute fusion, nucléaire notamment, provoque une réaction d’une grande intensité. Mais faire le vide dans le mouvement, sous stress et face à un attaquant déterminé est loin d’être facile. C’est pourquoi l’aïkido n’est pas une voie simple à réaliser et attire de moins en moins de pratiquant. Les voies martiales proposent en général d’ajouter plus de techniques et certaines mêmes noient le pratiquant sous des centaines de techniques et de katas, taolu ou pompsang. A l’inverse l’aïkido, comme le judo ancien d’ailleurs, insiste sur le fait d’épurer, d’enlever toujours un peu plus. Autrement dit, l’aïkido est la voie du vide. Il peut donc se pratiquer en toutes choses, du moment que l’on garde à l’esprit le principe du vide. « Less is more » comme disait Robert Browning dans son poème Andrea del Sarto.

vide aikido steven seagal

Il existe deux moyens principaux de provoquer un vide dans la technique d’aïkido. La première et la plus évidente est de créer une aspiration de l’attaque. Cette aspiration se fait grâce au déplacement du corps, mais aussi dans le fait d’accompagner le geste de uke. Si l’attaque est shomen uchi, il faut l’aider à trancher vers le bas. En encourageant la coupe de uke avec sa propre dynamique, le mouvement devient trop puissant pour uke qui perd l’équilibre vers l’avant. Idem avec yokomen uchi et toutes les frappes et coups de pied. Uke peut gérer sa force d’attaque, mais si celle-ci s’additionne avec une autre force, il est emporté dans son mouvement. Vu sous l’angle du Tao, cela consiste à augmenter le Yang de l’énergie en mouvement (cinétique) pour qu’il aille à son summum et s’épuise afin de devenir rapidement une phase Yin.

Suivant cette logique Yin et Yang, l’autre moyen est d’interrompre l’attaque au moment où le Yin devient Yang. Pour reprendre Shomen uchi, le Yin monte d’abord avec l’intention d’attaquer, puis avec le frémissement du muscle élévateur de l’épaule et enfin avec la montée du bras. Tout l’art de aïte est de ressentir à quel moment uke quitte l’état de vide et se remplit peu à peu. Plus tôt aïte sent le changement dans le vide, plus rapidement il peut intervenir et bloquer l’attaque ou même la velléité d’attaque. Le seul moyen de contrer un Yin ascendant et d’arriver avec une force Yang afin de rétablir une neutralité. Plus que jamais on voit à quel point l’étude du Tao est fondamentale pour la compréhension de l’aïkido.

Le vide, élément principal de la matière

Une de mes étudiantes de méditation m’a demandé ce que je pensais de l’océan. Je lui ai répondu que l’océan était la plus grande réserve de gaz (notamment de CO²) et d’oxygène. De plus, l’eau dont la formule est H2O contient bien deux gaz, l’hydrogène et l’oxygène. L’air, les gaz en général sont du vide (je rappelle que le vide n’est pas le néant). Par conséquent, l’océan est la plus grande réserve de vide de notre planète puisqu’il est présent sur les trois quarts de la surface.

Mediter-océan

Nous autres êtres humains sommes composés de cellules certes, mais aussi de molécules et plus bas dans l’échelle vers l’infiniment petit sont les atomes. Or les scientifiques ont établi que les atomes (un neutron et des électrons autour) sont constitués à 99,99% de vide. Par conséquent, nous sommes essentiellement composés de vide. Vous pensiez être plein ? Désolé, vous êtes essentiellement du vide avec un petit peu de matière dedans. Le pire c’est qu’il en va de même pour tout ce qui nous entoure.

vide murLe pain de la boulangerie, les murs qui semblent vous enfermer, l’avion qui vous transporte, l’eau que vous buvez, tout est vide. Par conséquent, il existe beaucoup d’espace tout autour de vous, même si vous habitez une simple chambre de bonne sous les toits de Paris. La prise de conscience que le vide est l’élément majoritaire dans notre univers n’est pas toujours facile à accepter. Mais au moins vous comprenez que vous faites partie du tout, au même titre que les arbres, les poissons et les oiseaux.

Si tout n’est que vide, alors qu’est-ce qui nous distingue du reste de la création ? A priori rien. Le fait d’être aussi vide que le reste permet de ne plus se sentir isolé, coupé du monde, mais de fondre en elle et de ne faire qu’un. En soi c’est plutôt une bonne nouvelle. D’ailleurs, les gens qui méditent trouvent facilement le bonheur d’être vivant par ce biais. Ils ressentent que tout ne fait qu’un et qu’ils sont connectés au tout. Comment font-ils ? Ils font le vide aussi souvent que possible. Il faut curieusement assez peu de temps pour arriver à cet état, mais à divers degrés selon les années d’entraînements bien entendu. C’est juste une question d’effort, l’effort de ne rien faire. Cela demande de la discipline. Les arts martiaux sont une voie qui mène à cela, mais c’est la plus lente. La voie des artisans, des thérapeutes naturels en est une autre. La voie express est bien sûr celle du moine méditant.

Toutefois, nous croyons que l’être humain possède une petite singularité qui le distingue du reste de la création : sa conscience et sa pensée. Fondamentalement une pensée n’est pas palpable, c’est du vide. Du coup, elle peut circuler à la vitesse d’elle-même. Si vous imaginez que vous êtes sur Mars, hop, vous y voilà aussitôt alors qu’avec un vaisseau spatial il vous faudrait un peu de temps. Même la lumière ne va pas aussi vite. Voyager à la vitesse de la pensée est le stade ultime du mouvement.

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La conscience permet de savoir que nous pensons. Du coup, cette entité n’est pas conditionnée non plus par la matière. La conscience est, comme la pensée, une forme de vibration. Et comme toutes les vibrations, celles-ci se déplacent aisément dans le vide. Cela peut paraître un peu trop farfelu comme explication, mais alors comment expliquer les moines tibétains qui du haut de leurs montagnes peuvent vous raconter en détails l’intérieur de n’importe quel endroit dans le monde, comme la Maison blanche ou le palais de l’Elysées, et ce bien avant l’invention de l’Internet ? Non seulement ils voyagent à la vitesse de la pensée mais de plus ils en ont conscience puisqu’ils rapportent des témoignages précis. Je dis souvent à mes étudiants que seules nos croyances nous imposent des limites. Bien sûr tout le monde n’arrive pas à ce genre d’expérience, mais les expériences dans la méditation sont multiples et quasi infini car le méditant s’ouvre au vide sans intention et voyage là où le vide l’attire.

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Ivan Bel

Depuis 30 ans, Ivan Bel pratique les arts martiaux : Judo, Aïkido, Kenjutsu, Iaïdo, Karaté, Qwankido, Taijiquanet Qigong. Il a dirigé le magazine en ligne Aïkidoka.fr, puis fonde ce site. Aujourd'hui, il enseigne le Ryoho Shiatsu et la méditation qu'il exerce au quotidien, tout en continuant à pratiquer et écrire sur les arts martiaux du monde entier.

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