Le cycle du vide – 4

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Le vide dans le shiatsu

Tout comme l’aïkido, le shiatsu est aussi une voie du vide. Cette technique d’acupression manuelle cherche à mobiliser le Ki pour soigner une personne « malade » (il faut comprendre ici la maladie selon la vision chinoise comme étant un déséquilibre interne mécanique, physiologique et énergétique à la fois). La plupart des praticiens font exactement cela. En développant leur ressenti ils arrivent à connaître l’état de l’énergie dans le corps, les organes et les méridiens, et savoir s’il s’agit d’un blocage, d’un excès ou d’un vide, dans le but de rétablir la circulation globale permettant ainsi au corps de retrouver son équilibre et donc, par voie de conséquence, sa santé.

En écoutant un jour Bernard Bouheret, grand professeur spécialisé en shiatsu thérapeutique, celui-ci disait qu’en allant de plus en plus profond dans la connexion avec le receveur, nous passons les couches physiques, psychiques, de l’énergie et de l’Essence (le Jing). Mais que tout au fond de l’être humain, quand il n’y a plus rien, que touche-t-on ? « L’âme », se questionnait-il ? Pour ma part, je penche plutôt pour un contact avec la dimension vide qui nous compose à 99%. Et cela ne devrait pas être bien compliqué à comprendre pour les pratiquants de shiatsu. En effet, pendant les études nous apprenons que le Ki circule dans les espaces Cou Li du corps, ces espaces vides entre la peau et les muscles par exemple. Mais elle circule également via les méridiens principaux, les vaisseaux merveilleux, les méridiens tendino-musculaires, les méridiens divergents, les méridiens de communication de surface comme de profondeur, bref partout. Les étudiants les plus avancés savent que le corps est parcouru d’une trame complexe qui va dans les huit directions (haut/bas, avant/arrière, droite/gauche, profondeur/surface). Puisque tout est énergie, l’énergie passe dans la seule dimension qui existe partout : le vide.

De son côté, Kawada senseï me disait lorsque j’étais son étudiant qu’il ne fallait pas mettre d’intention dans la connexion à l’autre. Ainsi, on créait un espace vide où le receveur pouvait se recueillir, se retrouver, régénérer ses forces et surtout choisir librement sa voie et son rythme de guérison. Cette voie n’est d’ailleurs pas toujours celle que le praticien avait imaginée, ce n’est même pas forcément la meilleure voie pour que la personne guérisse, mais c’est la sienne. La non-intention dans le traitement permet la création du vide au sein du receveur. Ce vide d’intention lui offre la liberté nécessaire pour se connecter à sa dimension première qui est essentiellement du vide. De son côté, le praticien créé aussi du vide en lui, ce qui lui permet au passage de reposer un peu son cerveau, et grâce à cela se met en communication avec la dimension intérieure du receveur. Autrement dit, c’est parce que les deux personnes sont dans un état de vide que tout communique et circule sans barrière.

Sortons un peu du shiatsu. Vous êtes tombés durement et allez vous soigner chez un ostéopathe. La première chose qu’il fait est de remettre de l’espace (du vide) entre les vertèbres de la colonne. Le craquement que l’on entend alors est le bruit de la bulle de gaz qui se trouve au sein de la poche de synovie, autrement dit c’est le bruit d’un espace vide dans votre corps. Ce gaz avait formé une bulle (concentration) qui, comme tout vide, avait la fâcheuse tendance à coller les os entre eux, au grand damne des nerfs vertébraux. En « claquant » la bulle, le gaz se disperse plus harmonieusement dans la synovie et l’équilibre entre vide et plein est rétabli. La personne se sent instantanément mieux.

Vous avez souvent des douleurs à l’estomac, aux intestins, un côlon irritable ou encore un transit paresseux. Ou bien encore vous êtes la victime de maladies neurologiques, dont on sait maintenant que la plupart d’entre elles ont une origine dans les intestins (du fait d’une paroi intestinale devenue faible et poreuse). L’un des traitements efficaces est le jeûne thérapeutique, c’est-à-dire faire le vide dans le tube digestif pendant plusieurs jours pour se nettoyer et laisser son corps se régénérer. Dans son livre « le diagnostic oriental », Ohashi senseï fait un drôle de dessin qui représente un humain comme un gros tube avec une grosse bouche à l’entrée et une grosse sortie à l’arrière. Selon lui, tout se résume à cela. Un tube vide que l’on remplit et que l’on vide sans cesse. Mais lorsqu’il dysfonctionne ou qu’il est malade, le meilleur moyen de le rétablir est de le ramener à sa dimension vide afin d’augmenter son potentiel. Alors, tout repart dans un mouvement de vide et de plein, de Yin et de Yang, de vie. Il est généralement conseillé à ceux qui jeûnent d’aller loin de leur environnement quotidien, de marcher beaucoup, de couper les communications et de faire le calme afin de se retrouver intérieurement.

Une compréhension plus subtile du dessin d’Ohashi m’a été donnée par Raphaël Piotto, professeur de médecine chinoise en charge de la formation des acupuncteurs de Belgique. Pour lui ce principe de vide s’exprime via la colonne Xu Li, que l’on traduit par « colonne du vide ». Elle est rattachée au grand méridien Luo de communication de l’Estomac (qui est un organe vide). Selon les ouvrages de référence, il existe 15 ou 16 méridiens de communication. Pourquoi cette hésitation sur l’un d’entre eux, le grand Luo de l’Estomac ? Justement parce qu’il représente le vide. Le vide est une notion si importante dans la médecine chinoise qu’elle n’est jamais clairement explicitée, comme tout ce qui ne se voit pas. C’est le rôle de l’étudiant que de chercher les explications à travers la voie proposée par le shiatsu. Mais pour donner une piste aux praticiens qui me lisent, pourquoi le doigt de pied du milieu est-il le seul à ne pas posséder de méridien ? Et pourquoi est-il situé juste à côté de celui de l’estomac ?

Encore une fois, la capacité à gérer, régler, donner de la cohésion au corps et à la digestion, est dévolue à une seule notion : le vide. Au passage il est intéressant de noter que les cinq viscères Yang sont vides, c’est-à-dire creux, et que tous permettent de gagner de l’énergie en la transportant. Les organes et les méridiens Yang sont réputés pour transporter, faire circuler et transformer. L’estomac est creux, ce qui permet de le remplir de nourriture. L’intestin grêle est creux également, ce qui permet de gagner de l’énergie via la digestion. Il est aidé en cela par la vésicule biliaire, qui est une petite réserve en creux, qui envoie la bile pour harmoniser la digestion. La vessie et le gros intestin font circuler les liquides et les solides usagés et les renvoient dans la nature afin de poursuivre le grand cycle de la nature. Car grâce au fait de se vider, le corps communie avec la nature et exècre ce qu’il a reçu. Il le retrouvera plus tard sous forme d’eau dépolluée ou de végétaux qui auront poussé sur ses excréments.

Quid des organes Yin ? Le cœur est creux, ce qui lui permet de se remplir de sang et de le renvoyer à la circulation pour donner de la chaleur au corps, qui est une forme d’énergie (thermique). Les poumons sont creux aussi pour se remplir de vide, ou plutôt de ce qu’on appelle communément l’air. La rate est déjà plus considérée comme étant pleine, car créatrice du sang, mais pas suffisamment puisqu’elle récupère de l’estomac « l’essence de la nourriture » pour enrichir le sang. Le foie peut sembler un organe plein aussi, mais ce n’est pas tout à fait exact. Il possède une multitude de petits espaces qui permettent de ralentir le débit du sang venant des intestins pour le filtrer de tout ce qui est impropre à la consommation humaine. Les reins sont à leur façon, creux eux aussi, pour filtrer l’ensemble des liquides organiques qui passent à travers eux. En d’autres termes, c’est l’ensemble de notre organisme qui fonctionne en creux pour permettre que le mouvement naturel se fasse à travers lui.

En conclusion, faire le vide est une notion qui nous intéresse à tous les niveaux de compréhension : physiologique, psychologique, martial, méditatif, thérapeutique et même scientifique. Si, grâce à cette compréhension du vide, mais surtout à son ressenti profond, nous augmentons notre potentiel, alors toutes les possibilités s’ouvrent à nous. La plus importante d’entre elles est la fusion avec le vide, qui ouvre les portes de la perception et du ressenti. Notre corps nous montre la voie. Sa relation au vide est telle qu’on ne peut ignorer qu’il s’agit de son premier principe de fonctionnement. L’espace galactique est composé lui aussi de vide. Les deux échangent en permanence des informations vibratoires ou de matières solides dans un immense va-et-vient qui forme un cycle sans fin. Grâce au vide, nous communiquons à tous les niveaux et tous les niveaux communiquent avec nous. C’est pourquoi il est indispensable, quelle que soit notre activité, de toujours revenir au fond de nous et tout autour de nous, au vide qui compose chaque chose et chaque être.

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Ivan Bel

Depuis 30 ans, Ivan Bel pratique les arts martiaux : Judo, Aïkido, Kenjutsu, Iaïdo, Karaté, Qwankido, Taijiquanet Qigong. Il a dirigé le magazine en ligne Aïkidoka.fr, puis fonde ce site. Aujourd'hui, il enseigne le Ryoho Shiatsu et la méditation qu'il exerce au quotidien, tout en continuant à pratiquer et écrire sur les arts martiaux du monde entier.

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