Les sept plis du hakama

Sur un hakama, vous avez sept plis, soit cinq devant et deux derrière qui se rabattent l’un vers l’autre. Faites attention à ne pas venir à l’entraînement, après un repassage malencontreux, avec des plis en moins. C’est parfois le cas lorsque vous l’avez mis au pressing. Si à l’origine de l’Aïkido le port du hakama n’est pas codifié, et que tous les styles étaient admis (de la soie au coton, du bleu sombre aux rayures colorées), c’est parce que la tradition s’attache plus aux valeurs véhiculées par les plis. O Senseï ne manquait pas de rappeler à ses élèves que « les sept plis du Hakama symbolisaient les sept vertus du Budo ». Détaillons-les et apprenons-les, car le fait de porter le hakama sert à montrer aux autres que l’on suit les préceptes qu’il véhicule.
- Jin (se lit djine) 仁: la bienveillance, la générosité : Cette vertu demande une attitude pleine d’attention pour autrui, sans considération d’origine, d’âge, de sexe, d’opinion ou de handicap. Il faut veiller à ne pas causer de trouble ou de peines inutiles pour soi et pour autrui.
- Gi (se lit gui) 義: l’honneur, la justice : Le sens de l’honneur ne doit pas être mal placé et servir de prétexte à n’importe quelle action, notamment le duel. Il passe par le respect de soi et des autres. Il implique d’être fidèle à sa parole, à ses engagements et à son idéal. Le sens de gi c’est « avoir le sens du devoir, agir de manière juste ».
- Rei (se lit lei) 礼: l’étiquette, la courtoisie : La politesse n’est que l’expression de l’intérêt sincère porté à autrui, quelle que soit sa position sociale, au travers des gestes et des d’attitudes pleines de respect. Le cérémonial et l’étiquette font partie de l’extériorisation de la politesse. Ils servent à offrir un cadre dans lequel le rapport aux autres, au dojo, à l’enseignant, est agréable et harmonieux.
- Chi (se lit tchi) 智 : la sagesse, l’intelligence au sens de discernement : La sagesse est l’aptitude à n’accorder aux choses et aux évènements que l’importance qu’ils ont réellement, sans passion qui trouble le jugement. La sérénité qui en résulte permet de distinguer le positif et le négatif de toutes choses ou évènements, ce qui est une forme d’intelligence.
- Shin (se lit chine) 信: la confiance, la sincérité : Elle est fondamentale dans les arts martiaux. Sans elle la pratique n’est qu’une simulation, voire une gesticulation inutile. Si on n’est pas sincère dans son travail, son respect aux autres, ses attaques, on se ment et on ne permet pas aux autres de progresser. L’engagement doit être total, permanent, sans équivoque, car nous savons tous que l’illusion ne peut perdurer longtemps devant les exigences et le réalisme de la voie, et le regard des autres.
- Chu (se lit tchū) 忠 : La loyauté, le respect : Voilà bien une valeur en voie de disparition dans notre société contemporaine, alors que l’argent ou les attraits du pouvoir permettent d’acheter les consciences et donc les loyautés. Cette valeur est pourtant la clé de voûte de nos arts martiaux : loyauté envers son professeur, envers les règles internes de son école, envers ses aînés, envers son dojo, envers ses armes et ses habits, envers le kamiza, et bien sûr envers le fondateur. C’est là le reflet de la rectitude du corps et de l’esprit du pratiquant.
- Ko 孝: La piété au sens filial (respect de la filiation, de l’héritage reçu): Il n’est pas question de religion ici, sinon nous serions dans les affres des luttes qui vont avec. Il faut comprendre piété dans le sens de respect profond et authentique des bases techniques, des codes, de son art martial, des aspects spirituel, historique et philosophique qui sous-tendent l’Aïkido.
Les 7 vertus que nous venons d’énumérer et d’expliciter, en précisant l’application qu’elles peuvent trouver de nos jours dans le cadre des dojos, sont en fait à replacer dans le contexte plus large de la philosophie orientale. Rapide survol de Confucius au….Bushido pour comprendre comment a été établie cette liste de 7 vertus.
En Chine…
La réflexion de Confucius (en chinois Kongzi, 551-479 av. J.-C.) alliait éthique et politique. Il ne concevait qu’un État fort, autoritaire ET vertueux. Prônant un humanisme pragmatique, il avait défini une sagesse caractérisée par l’exigence morale, le sens de l’étude, le respect des traditions. Les héritiers de sa pensée, parmi lesquels Mencius (en chinois Mengzi, v.372-v.289 av. J.-C.), ont théorisé par la suite certains de ses préceptes sous la formule : Gorin Gojō (Wu lun wu chang, 五倫五常), c’est-à-dire les 5 liens, et les 5 vertus à pratiquer quotidiennement.
Les 5 liens sont :
- Déférence du sujet envers le prince
- Déférence de l’enfant envers ses parents
- Déférence de la femme envers l’homme
- Déférence du fils puîné envers l’aîné.
- La confiance dans les relations amicales.
Les 5 vertus sont :
Les 5 premières de notre liste, à savoir : Jin, Gi, Rei, Chi, Shin
Soit : Bienveillance, Sens du devoir, Discernement, Loyauté, Confiance
…puis au Japon
La pensée confucéenne a été introduite très tôt au Japon (dès le VIe siècle) mais s’est considérablement affermie à partir du 12e siècle avec l’avènement au pouvoir de la classe des guerriers. Elle a surtout connu un grand essor au 17e siècle sous le shogunat des Tokugawa (1603-1867). Les shoguns voulaient faire régner l’ordre : cette pensée leur fournissait de précieuses clés pour gouverner. Au 17e siècle, la pensée dominante parmi les guerriers était donc confucianiste. Rien d’étonnant à ce que le bushidō, qui a été formalisé à cette époque, en porte une très forte empreinte. On y retrouve sous des formes abrégées ou réaménagées la liste Gorin Gojô.
1- la liste des « huit vertus » dites Hattoku :
En japonais : hachi (8) + toku (vertu) » 八徳 : Jin, Gi, Rei, Chi, Chū, Shin, Kō, Tei.
Bienveillance, Sens du devoir, Discernement, Loyauté, Confiance, Piété filiale, Affection fraternelle.
Les sept premières énoncées sont celles citées par O Senseï. Nous reviendrons plus loin sur Tei, la dernière.
2- la liste « trois liens et cinq vertus » dites Sankō Gojō
En japonais : 三網五常
– Les 5 vertus
Toujours les mêmes…à savoir Bienveillance, Sens du devoir, Discernement, Loyauté, Confiance
– Les trois liens
En japonais : sankō 三網
Les trois liens considérés comme fondamentaux pour un bon ordre dans la société :
– Déférence du sujet envers le prince (le chū de la liste d’O Sensei, la loyauté)
– Déférence de l’enfant envers ses parents (le kō de la liste d’O Senseï, la piété filiale)
– Déférence de la femme envers l’homme (cette vertu ne figure pas sur la liste d’O Senseï et tant mieux…)
Ici encore on reconnaît les 7 premières vertus énoncées par O Senseï.
On constate des variantes selon les listes (il en existe d’autres…). Néanmoins, les cinq premières vertus forment un noyau dur. Cela s’explique par le fait que ces cinq vertus sont applicables à toute relation humaine alors que les autres (celles qui apparaissent ou sont omises selon les listes) sont circonscrites à des contextes relationnels spécifiques. O Senseï a choisi d’expliquer le septième pli par « kō », la piété filiale. Il aurait pu tout aussi bien choisir de privilégier Tei 悌 qui renvoie à l’affection fraternelle, à la relation entre deux frères dont dérivent directement les notions de senpaï et kōhai (grand frère et petit frère dans l’ancienneté de pratique). Quand il expliquait les plis du hakama à ses élèves, il s’efforçait de leur rappeler des notions qui avaient forgé le mental de sa génération, mais qui étaient en train de se perdre dans le Japon d’après-guerre. Il avait déjà fort à faire.
Mais pourquoi de 8 passe-t-on à 7 ?
Il serait bien sûr intéressant de l’expliquer ici, mais nous réservons cela pour une prochaine fois. Nous dirons simplement que cela tient à des croyances liées aux chiffres dans la culture japonaise. Elle préfère privilégier les chiffres impairs qui, non divisibles, dégagent une impression de plus grande cohésion. D’autre part le 8, au Japon, est synonyme d’infini, d’infinité. il se prête mal à des listes que l’on veut closes. Dans les exemples de liste ci-dessus, 8 se présente d’ailleurs à l’esprit comme 5+3, soit deux chiffres impairs.
Quand Nitobe Inazō (1862-1933), un grand penseur japonais du 19e siècle, a rédigé l’ouvrage de référence « Bushidō, l’âme du Japon« , il a lui aussi choisi de consigner en 7 points les vertus du samouraï. On en reconnaît certaines, on en découvre d’autres. On peut cependant considérer cette liste comme l’état ultime de l’acclimatation au Japon de la liste chinoise de Gorin Gojō. La voici:
- Le sens de l’honneur 義
- Le courage 勇
- La bienveillance 仁
- L’étiquette 礼
- La sincérité 誠
- L’honneur ( au sens de réputation) 名誉
- La loyauté 忠義
Les plis du hakama chez les pratiquants de Kendo
Il peut être intéressant de savoir que les kendoka donnent des 7 plis une interprétation légèrement différente de la nôtre. Pas de différence pour les 5 premiers plis de devant…mais pour les deux de derrière :
– l’un correspond à SEI, makoto, la sincérité 誠 (qu’on trouve dans la liste de Nitobe Inazo)
– l’autre correspond simultanément à Chu et Ko, loyauté et piété filiale. Cette association se comprend. Ces deux termes sont sémantiquement proches, car ils renvoient à l’idée de respect, de fidélité. Les kendōkas vont même plus loin. Pour eux, le fait que ces deux plis de derrière se rabattent l’un vers l’autre pour former une ligne parfaite, a en effet une symbolique particulière, que nous aïkidokas, de notre côté, gagnerions sans doute à cultiver aussi. Cette ligne symbolise l’éradication de la duplicité (de la tricherie) de son cœur et se cristallise dans la formule : Futagokoro no nai makoto no michi ( à lire : futagokoro no naï makoto no mitchi. Autre lecture possible pour futagokoro : nishin, soit en japonais ニ心のない誠の道) En traduction littérale cela donne : « la voie de la sincérité qui n’a pas deux cœurs ».