Pourquoi les arts martiaux plaisent-ils tant aux occidentaux ?

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kenjutsu-budoLes arts martiaux asiatiques connaissent un succès qui ne se dément pas malgré les décennies qui passent, que ce soit ens Europe ou en Amérique. L’expansion actuelle des disciplines martiales en Afrique et en Amérique du Sud (que je considère comme des occidentaux par rapport à l’Asie) montre que l’engouement n’est pas prêt de s’arrêter là. Alors, avec mon ami Guillaume (voir lien en bas de page), nous avons voulu répondre, chacun de notre côté à cette question qui revient régulièrement : pourquoi les arts martiaux asiatiques plaisent-ils autant aux occidentaux ?

 

Mon premier sentiment pour répondre cete question est qu’il faut fouiller dans notre histoire, notamment dans le Moyen-âge européen et plus particulièrement en France et en Angleterre. En effet, ces deux pays sont les berceaux d’une caste de guerriers, qui s’est ensuite essaimée dans toute l’Europe : la chevalerie.

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(Bataille de Bouvines, remportée par la chevalerie française)

Les chevaliers étaient une classe de guerriers tout comme l’étaient les bushi japonais. Les points communs sont nombreux.

chevalier-en-armurePour se distinguer de la piétaille, ils ont choisi de combattre à cheval, de porter de lourdes armures et de grandes épées.
L’entraînement des chevaliers était assez semblable aux bushi, du moins en intensité. Ils passaient en effet 6 à 10 heures quotidiennes sur les terrains d’entraînement. Combat à l’arme blanche, en armure ou non, équitation, joute, lutte, combat par équipe, tout y passe.
La présence d’un code de l’honneur verbal, puis plus tard écrit, d’un code de conduite du chevalier, mais aussi d’un idéal de la chevalerie, est présent dans chez les asiatiques comme chez les occidentaux.

 

 

 

 

samurai-en-armureLes chevaliers ont également suivi une évolution similaire à celles des japonais, mais également des guerriers chinois. Au départ, il s’agissait surtout de grosses brutes avec peu de technique, capables de porter 50 à 60 kilos d’armure, une masse d’armes et une épée, et qui combattaient avant tout sur des champs de bataille. Par la suite, les armures se sont allégées au fur et à mesure que les guerres se faisaient moins nombreuses et moins régulières. Le combat en duel devenait alors de plus en plus à la mode et finalement les techniques se sont multipliées, diversifiées. Cette évolution du guerrier est la même sur les deux continents.
Autre évolution similaire, la volonté de la société civile de rendre plus pacifique ces guerriers, notamment en les éduquant. Dans les périodes sans guerre, et afin qu’ils n’aillent point occire le premier venu, la poésie, le parlé courtois, l’amour courtois ainsi que les joutes amicales, sont devenus la base de tout chevalier voulant devenir un tant soi peu fréquentable. Les asiatiques ont aussi connu cette transformation, notamment à partir de l’ère Edo pour le Japon, avec la cérémonie du thé, la philosophie, la calligraphie, etc. Dans les deux cas, le but est d’amener les guerriers sur une recherche intérieure, de les apaiser et faire réfléchir, afin de les rendre socialement acceptables.
Enfin, la caste des guerriers à, dans les deux cas, toujours réussi à gouverner et à tenir le pays sous leur coupe. Les rois occidentaux sont issus de cette classe dominante de chevaliers qui forment la noblesse, tout comme en Asie, avec les shogun japonais.

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(L’amour courtois, ou l’art de se faire aimer d’une dame)

La Chine en revanche n’a pas connu cela, sauf lors des invasions étrangères (Xiongnu, Mongole, Mandchoue). Si les empereurs chinois sont effectivement à la base des guerriers, ils sont surtout et avant tout des politiciens, qui s’appuient sur la société civile (les mandarins) pour diriger.

Tous ces points communs entre guerriers asiatiques et occidentaux, ne doivent pas nous faire oublier une divergence cruciale dans leur histoire respective. L’arrivée et l’utilisation des armes à feu dans les champs de bataille est bien plus rapides en Europe qu’en Asie. Aussi la fin des chevaliers intervient des siècles plus tôt qu’en Chine ou qu’au Japon, où il faudra attendre le 19e siècle pour voir la fin de la caste des guerriers face à des armées modernisées (guerre de Boshin au Japon, guerres de l’opium en Chine). Ceci explique en partie pourquoi en Europe les arts guerriers se sont perdus dans les brumes de l’Histoire, alors qu’au Japon, ils étaient vivaces jusqu’en 1877.

L’intrusion de l’ère contemporaine pour les Japonais (qui n’ont jamais été colonisés ) et la modernisation rapide de son armée, a permis de traiter d’égal à égal avec les nations occidentales, notamment à partir de leur victoire sur les russes en 1905. Avec la montée du militarisme durant l’ère Meiji, les arts martiaux sont ressortis au grand jour, mais encadrés au sein d’écoles (ryu) – le port du daisho (petit et grand sabre) était interdit – et contrôlés par l’armée. Jigoro Kano, le fondateur du Judo, infatigable promoteur et redécouvreur des budos japonais, était également un grand ami de Pierre de Coubertin. Les premières démonstrations de Jujutsu, puis de Judo eurent lieu dès la fin du 19e siècle en Angleterre et en France.

 

A cette époque, on pratiquait la boxe (anglaise ou française), la savate et l’art de la canne, ainsi que l’escrime au fleuret, autant de restes des anciens modes de combat. Une version de combat asiatique plut immédiatement, et ce pour plusieurs raisons.

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(Baron Pierre de Courbertin)

Les anglais et les français sont d’infatigables bagarreurs qui voulurent rapidement voir quelle méthode (la nôtre où la leur) est la plus forte. La mode de l’époque est aux «curiosités» c’est-à-dire à tout ce qui vient de Chine et du Japon.Le retour des Jeux Olympiques promus par le Baron Pierre De Coubertin (photo de droite), place de plus en plus souvent le sport sur le devant de la scène médiatique.

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(Jigoro Kano, fondateur du Judo)

Le Judo sera d’ailleurs présenté aux J.O dès la seconde édition pour être définitivement intégré en 1968.Pour avoir des sportifs de bon niveau, les européens construisent des structures sportives, puis des fédérations sportives et enfin des ministères du sport pour promouvoir tout cela. Le Judo va donc profiter de cette montée en puissance du sport en Europe pour se diffuser et s’installer dans des infrastructures de plus en plus nombreuses, se faisant ainsi rapidement connaitre auprès du public.

 

(Minoru Mochizuki, fondateur du Yoseikan Budo)

Dans les années 50, lorsqu’apparaissent en France le Karaté (présenté par Henri Plée) et l’Aïkido (présenté par Minoru Mochizuki, qui sera le fondateur du Yoseikan Budo), les infrastructures sportives sont déjà largement répandues sur tout le territoire. La fédération de Judo qui est déjà ancienne, fait office de grande sœur et de pépinière pour les nouveaux arrivants. La plupart des karatéka et aikidoka seront d’anciens judoka.

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(Gishin Funakoshi, fondateur de Karate Shotokan)

C’est pourquoi aujourd’hui on ne compte plus les villes, et même les petites villes, avec le sacro-saint triptyque Judo-Karate-Aïkido. Depuis lors, tous les Budo et Bujutsu nippons se sont installés en France. Si je parle de la France c’est qu’elle fut et reste encore le pays où l’enracinement des Bugei au sens large restent le plus important. Mais c’est bien tout l’occident qui est touché peu à peu par la vague des arts martiaux japonais. Les arts martiaux chinois ne se sont lancés que plus tard, suite au succès de Bruce Lee sur les écrans, puis depuis les années 80-90, ce sont les vietnamiens, les coréens, et peu à peu tous les pays asiatiques, sans oublier récemment l’arrivée de la Capoeira brésilienne.

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(Mestre Bimba, fondateur de la Capoeira dite régionale)

 

La clé du succès des arts martiaux asiatiques est donc un amalgame entre un intérêt exotique des occidentaux pour l’Asie et l’existence d’une politique volontariste du sport (ce qui aura aussi la fâcheuse conséquence de transformer les budos en sports, mais c’est un autre sujet).

Toutefois, vouloir réduire l’engouement des arts martiaux à ces deux facteurs serait oublier ce qui fait leur richesse. Outre les techniques de combats, avec ou sans armes, et l’aspect physique toujours apprécié par chez nous depuis l’antiquité grecque et romaine (Mens sana in corpore sano), ce sont surtout des voies de développement individuel qui viennent combler de nombreux « vides » chez les occidentaux.

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(Doshin So, fondateur du Shorinji Kempo)

La société occidentale est marquée au fer rouge par quatre phénomènes majeurs :

  •  La division philosophique et religieuse entre le corps et l’esprit
  •  Le recul de la religion et la perte du rapport avec une entité supérieure
  •  La technicisation de la société et des moyens de production
  •  La consommation à outrance des biens et des ressources naturelles

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( Nguyen Loc, fondateur du Vovinam)

Les arts martiaux asiatiques (et non pas les sociétés asiatiques qui ont hélas suivi le modèle occidental) apportent aux pratiquants des béquilles et des réconforts contre les phénomènes cités précédemment.

  • Les arts martiaux réapprennent aux individus à se réapproprier leur corps et leur esprit, et à considérer les deux comme formant un tout indivisible. La considération qu’un budoka a alors de lui-même change complètement, puisqu’il n’est plus deux moitiés séparées et parfois antagonistes, mais ne fait plus qu’un.
  • Lorsqu’il dépasse l’aspect «catalogue de techniques», le pratiquant découvre qu’un art martial est un moyen de retrouver une spiritualité, de retrouver sa place dans l’univers. Si son esprit et son corps ne font qu’un, il apprend aussi qu’il ne fait qu’un avec le ciel et la terre. Sa conception du monde le fait évoluer d’une place de prédateur de la nature à membre responsable de cette même nature.
  • La technicisation de la société plonge l’individu dans un rôle où il n’est plus qu’un rouage au cœur d’un mécanisme qui le dépasse et dont il ne comprend pas toujours les aboutissants. L’individu est relégué au rang d’outil, voir pire, au rang de contrôleur d’outil dans le cas de l’automatisation et de la robotisation des moyens de production. Les arts martiaux replacent l’individu au cœur de sa vie, lui offrent une quête du sens de son existence, lui réaffirment qu’il est important et qu’il a un rôle à jouer, bref qu’il est unique tout en étant semblable à ses frères humains. De plus, les arts martiaux sont des techniques qui ne peuvent pas être reproduites sans effort, sans temps, et sans devenir un être sensible (c’est-à-dire qui utilise tous ses sens). Aucune machine ne peut comprendre et obtenir la technique profonde d’un art martial, sans parler de maîtriser le concept d’énergie. Les arts martiaux est donc, comme tous les arts, un domaine où l’homme règne en maître, au prix d’une vie de travail et d’études.
  • Nos sociétés de consommation ont pour conséquence la perte de valeur de l’individu (qui devient jetable comme les biens), la perte du temps, la déconsidération du travail (puisqu’on peut tout acheter), la perte du savoir faire manuel (puisque les machines construisent à notre place), et le gâchis des ressources animales, végétales et minérales. Les arts martiaux enseignent toutes ces valeurs et leur redonnent de la valeur.

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J’ai déjà expliqué dans un autre article que les arts martiaux sont l’art de la guerre, mais aussi l’art d’arrêter la guerre, et donc de préserver la vie. C’est cette voie que nous étudions, car elle est profondément naturelle et humaine. Et ne serait-ce que pour cela, les arts martiaux ne peuvent que séduire et fidéliser des pratiquants toujours plus nombreux.

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Autre article sur ce sujet : Sur le site de Guillaume Erard

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Ivan Bel

Depuis 30 ans, Ivan Bel pratique les arts martiaux : Judo, Aïkido, Kenjutsu, Iaïdo, Karaté, Qwankido, Taijiquanet Qigong. Il a dirigé le magazine en ligne Aïkidoka.fr, puis fonde ce site. Aujourd'hui, il enseigne le Ryoho Shiatsu et la méditation qu'il exerce au quotidien, tout en continuant à pratiquer et écrire sur les arts martiaux du monde entier.

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