Rencontre avec Masato Matsuura

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Matsuura_4Masato Matsuura Senseï est venu s’installer en France voici plusieurs années. A cette époque, encore inconnu du grand public, j’avais eu le plaisir de le suivre dans ses stages et de l’interviewer. Son style d’enseignement particulier et ses qualités de sabreur et d’acteur Nô ne devaient pas le laisser longtemps dans l’ombre. Invité à la Nuit des Arts Martiaux Traditionnels de 2008, il fait de plus en plus parler de lui, autant en Belgique où il vient tous les mois, qu’en France où de plus en plus de dojos l’invitent à dispenser son enseignement. Voici l’occasion de relire cette interview menée en juillet 2007 et de (re)découvrir ce senseï pas comme les autres.

 

I.B. : Bonjour Senseï. On commence de plus en plus à murmurer votre nom en France, mais aussi en Belgique, mais on ne sait quasiment rien de vous. Pourriez-vous nous parler un peu de votre parcours ?

Masato Matsuura : J’ai commencé à l’âge de 13 ans, comme beaucoup de collégiens, par le Judo. A 16 ans, au Lycée, j’ai découvert le Karaté Wado Ryû qui m’a bien plu. Puis à 18 ans, à l’université, ce fut la rencontre avec le théâtre Nô, ma plus grande révélation. J’ai commencé doucement, mais deux ans plus tard, j’entrais comme uchi-deshi dans une école de Nô avec la ferme intention d’en faire mon métier.

I.B. : Qui était votre maître de Nô ?

Matsuura_3M. M. : Tetsunojô Kanze Senseï. Cela ne dira pas grand-chose à vos lecteurs, mais il s’agit du 8ème Sôke de l’école Kanze, qui est l’une des plus connues du Japon. (NDR : Sôke : titre de celui qui est à la tête de l’école, la dirige.) . L’origine de cette école remonte aux débuts du Nô, c’est-à-dire à la période Muromachi (1336-1573). Kanze Senseï est un très grand maître. Il a d’ailleurs été honoré du titre de « trésor national vivant » qui au Japon est décerné à très peu de personnes. C’est lui qui m’a donné la passion du théâtre Nô.

I.B. : Comment se passaient les cours et la vie chez lui ?

M. M. : C’était très dur et il était extrêmement sévère. C’était un peu comme dans le Zen : « la mort ou le satori ». Il ne voulait pas vraiment enseigner. Il disait : « Je n’enseigne pas. ». Les élèves devaient saisir sa technique avec leurs yeux, car il n’y avait pas d’explications, un peu comme à la manière de Morihei Ueshiba. Moi, j’étais presque mort, physiquement et moralement. Tous les jours Kanze Senseï me disait « Abandonne ! », « Ne viens plus !». Le matin quand je venais le saluer, il détournait le regard en sifflant d’agacement. On travaillait les gestes, les chants, les enchaînements toute la journée. Au bout d’un an et demi, j’ai cependant pu participer pour la première fois à un spectacle en tant que choriste. Mais ce n’est qu’au bout de cinq années terribles que j’ai pu travailler comme professionnel.

I.B. : Cela ressemble à un enseignement martial traditionnel. Qu’avez-vous fait après votre apprentissage ?

M. M. : J’avais alors 26 ans. J’ai pris de la distance avec le monde du Nô. Je suis entré dans une compagnie de théâtre contemporain autant pour diversifier mes techniques de scène que pour le plaisir de m’affranchir du classicisme. Je me suis parallèlement inscrit au Karaté Kyokushinkaï. J’ai tenu pendant trois ans, mais les frappes étaient tellement violentes que je me suis cassé une côte et des articulations.

I.B. : Vous n’avez donc jamais perdu de vue les arts martiaux ?

M. M. : C’est sûr (rires). A 29 ans je suis entré dans une école de sabre à Urawa (préfecture de Saïtama, à 30 minutes de Tokyo) où j’ai appris en même temps le style Hokushin Ito Ryû, le Kenjutsu et le Kendo moderne (Gendaï-Kendo). Je m’entraînais 5 jours sur 7 pendant plusieurs heures sous la direction de Jûjirô Konishi. C’est le 5e successeur de cette école. Cela a duré pendant six ou sept ans. Mais au bout d’un moment, à force de suburi, d’assauts et d’épuisement, cela m’a cassé le corps et je commençais à avoir des problèmes aux poignets, aux coudes et aux hanches. On mettait trop de force dans tout cela et je me disais qu’il devait y avoir une autre voie pour travailler sans s’abîmer. Mais malgré tout, cela reste une excellente école de sabre.

I.B. : Vous avez donc remis en question la méthode de travail ?

M. M. : En fait, j’ai surtout fait une rencontre majeure. J’avais 35 ans quand j’ai découvert Yoshimaru Keiseitsu, maître de Daïto Ryû Aïkijutsu. Cela se passait toujours à Urawa.

I.B. : Quelle chance !

M. M. : Oui, surtout quand on connaît Yoshimaru ! Il est le disciple de Yukioshi Sagowa Senseï, lui-même disciple du fameux Sôkaku Takeda. C’est un homme très fort, car il pratique beaucoup le Taijiquan (Taichi) ce qui lui donne une grande assise. Mais mieux encore, il travaille toujours entièrement relâché. C’est lui qui m’a ouvert les yeux sur les principes du relâchement en Aïkijutsu. Ce fut une révélation pour moi qui cherchais justement dans cette direction. J’ai continué pendant quelque temps le sabre, mais cela faisait trop à la fois. Je me suis donc consacré à l’Aïkijutsu pendant quatre ans. Yoshimaru m’a décerné le grade de chuden nidan (NDR : équivalent 5 ou 6° dan), mais les grades n’ont pas d’importance pour moi, ils ne m’intéressent pas.

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I.B. : Qu’est-ce que vous a apporté Yoshimaru Senseï ?

M. M. : Comme je l’ai dit l’apprentissage du relâchement musculaire dans l’exécution des techniques, mais aussi une meilleure utilisation du corps dans son entier. Mais c’est surtout avec lui que j’ai compris le sens de « Takemusu Aïki » et cela m’a également éclairé sur le Nô. Ce fut donc une authentique révélation. Je voudrais faire ici une remarque. Je constate que l’on a souvent un a priori envers le Daïto Ryû : ce serait une école violente avec une technique peu raffinée. Ce n’est pas correct de dire cela. Il y a en fait deux branches. Pendant la période d’Edo, le Daïto Ryû Jiujutsu était étudié par les samouraïs de base, et le Daïto Ryû Aikijutsu par les samouraïs de classe supérieure et les seigneurs. La branche Daïto Ryû Aikijutsu est très évoluée. C’est l’art d’utiliser son énergie sans que ce soit visible de l’extérieur. De plus, la technique n’est pas violente. C’est comme en sabre lorsque l’on distingue Satsujinken (le sabre qui tue) de Katsujinken (le sabre qui donne la vie). Si on ne sait pas opérer cette distinction, on ne sait pas de quoi on parle.

I.B. : Je sais également que vous avez étudié d’autres écoles de sabre. Pouvez-vous m’en parler ?

M. M. : C’est vrai, j’ai étudié Shinkage Ryû et Niten Ryû (NDR : l’école des deux sabres). Le Niten Ryû, j’ai eu la chance de l’apprendre avec Mikami Senseï qui est le premier disciple du sôke de cette école. Niten Ryû est l’école développée à partir de l’école de Miyamoto Musashi et de son ouvrage Go Rin no Sho (Traité des cinq anneaux). C’est dans le Takemusu Aïki que j’ai trouvé la clé pour comprendre l’essence de ce livre et de cette école. Il s’agit de remplir les formes afin qu’elles ne soient pas que des formes justement.

I.B. : Quand on vous regarde bouger au théâtre Nô, on a l’impression que vous faites du sabre. Y’a-t-il une relation ?

M. M. : Absolument ! Pendant l’époque d’Edo, la famille Konparu tenante d’une des traditions du Nô, habitait à Nara, à côté de la famille Yagyû, qui est une école de sabre très célèbre. Il est de notoriété publique que les deux familles ont échangé des techniques. Aux débuts du Nô, le déplacement n’était pas le même qu’aujourd’hui. Il faut savoir que Kamiizumi Ise-no-kami de l’école Shinkage Ryû a donné un livre de techniques à Sekishûsai Yagyû (2ème successeur de l’école Yagyû). A son tour l’école Yagyû donné ce même livre à Hachijô Konparu, maître de Nô, qui adopte certaines postures. C’est donc le style Shinkage Ryû, via Yagyû Ryû, qui a influencé la démarche actuelle du Nô, les postures, notamment la notion de corps flottant (NDR : hanches suspendues – tsuri koshi).

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I.B. : C’est assez étonnant de voir tous les maîtres et les disciplines que vous avez connus. Il y en a d’autres ?

M. M. : En 2003, j’ai fait un peu de Taijiquan avec Ikeda Hireyuki (NDR : l’un des grands spécialistes japonais de cet art chinois), style Chen, et cela m’a beaucoup marqué. C’est une expérience forte, car sa théorie était aussi claire que sa pratique et l’on pouvait comprendre sans effort les principes qu’il exprimait. De plus, cela m’a permis d’approfondir les notions de Yin et Yang dans l’Aïkijutsu qui sont un autre aspect fondamental de mon travail.

 

I.B. : Comment se fait-il qu’avec tout ça vous soyez venu vous installer en France ?

M. M. : Eh bien, quand on est un artiste de théâtre Nô, et qu’on veut se hisser au niveau international, on n’a pas trop le choix : on va soit à New-York, soit à Paris. Comme je n’aime pas trop la mentalité américaine, pour moi, ce fut Paris. Et puis, j’avais rencontré un comédien français au Japon, Jérôme Wacquiez (NDR : qui a reçu le prix de l’Institut International du Théâtre.). En 2004, il m’a invité à l’occasion d’un spectacle à Avignon. Puis à Paris j’ai rencontré un élève de Michel Bécart qu m’a présenté à lui. Nous nous sommes bien entendus, il a apprécié mon travail. J’ai ainsi décidé de venir m’installer à Paris.

I.B. : J’ai regardé un de vos cours : on peut dire que votre méthode d’enseignement n’est pas banale. Comment la définiriez-vous ?

M. M. : Je propose une méthode pour maîtriser l’intérieur et non pas uniquement le corps. Ma méthode est au croisement de différentes formes (Nô, sabre, Aïki). Chaque discipline est respectée, mais le but est de se trouver, de comprendre son corps et de maîtriser son énergie.

I.B. : Qu’est-ce que le Nô peut apporter à un pratiquant d’Aïki ?

M. M. : Cela dépend de qui, mais le Nô permet de comprendre les déplacements, la gestion du corps en sollicitant le moindre muscle, la projection de l’énergie vers l’extérieur. Comme l’extérieur est bloqué par les postures, il faut créer un mouvement interne. Notamment à chaque pas, on doit changer d’état, en fonction de l’axe ciel/terre et rebondir sur la gravitation. Dit comme ça, c’est incompréhensible. Il faut essayer.

I.B. : Dernière question : pourquoi avez-vous appelé votre dojo les deux spirales ?

Matsuura_1M. M. : Toutes les techniques sont basées sur le principe de nature, de gravitation et d’énergie. L’histoire de l’humanité, c’est partir du sol pour aller vers le ciel. Cette énergie qui nous élève se déroule en une en spirale orientée dans le sens inverse des aiguilles d’une montre. En Daïto Ryû Aïkijutsu, on dit que les mains sont comme des fleurs de volubilis, en spirale inversée par rapport au mouvement du soleil. La théorie du Yin et du Yang parle aussi de deux spirales qui montent et descendent. En Niten Ryû, Musashi parle de mouvement en spirale. D’ailleurs, on peut dire que les deux spirales sont une traduction de Niten Ryû (NDR : Mot à mot, l’école des deux ciels). L’ADN est constitué de deux spirales. Les premières divinités du Japon, Izanagi et Izanami, priaient toutes les deux en cercle, en sens inverse l’une par rapport à l’autre. Tout cela pour dire qu’en tant qu’être humain, on est destiné à s’élever. Ce n’est que lorsque l’homme se tient correctement debout (et pour cela il faut réaliser shizentai) que l’énergie circule librement en spirales. Tous les arts que j’enseigne s’axent autour de cette circulation. C’est donc très logiquement que mon école s’appelle : « Futatsu rasen » (les deux spirales).

 

I.B. : Un grand merci pour m’avoir consacré votre temps.

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  • Depuis cette interview, Matsuura Sensei a crée l’école Sayû, en Belgique et en France. Il a joué dans plusieurs pièces de théâtre, aussi bien moderne que du Nô traditionnel. Il prépare de nombreux projets artistiques tout en continuant sa recherche dans les budos qu’il enseigne.
  • Pour en savoir plus sur les cours à Paris ou à Bruxelles, allez sur le site des deux spirales.
  • Les photos en noir et blanc sont de Satoshi Saikusa et sont protégées par un copyright. Elles sont ici avec l’aimable autorisation de Matsuura Senseï.
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Ivan Bel

Depuis 30 ans, Ivan Bel pratique les arts martiaux : Judo, Aïkido, Kenjutsu, Iaïdo, Karaté, Qwankido, Taijiquanet Qigong. Il a dirigé le magazine en ligne Aïkidoka.fr, puis fonde ce site. Aujourd'hui, il enseigne le Ryoho Shiatsu et la méditation qu'il exerce au quotidien, tout en continuant à pratiquer et écrire sur les arts martiaux du monde entier.

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